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Le Samedi 23 mai, Ferhat Mehenni, président du Gouvernement Provisoire Kabyle (GPK), fut l’invité de l’association Amitié Québec-Kabylie, au Complexe William-Kingston de Montréal où il donna une conférence sur l’indépendance de la Kabylie. Notre collègue, Saliha Abdenbi, a rencontré cet homme devenu pour beaucoup de Kabyles le symbole de la lutte pour la satisfaction plénière de leur cause identitaire et politique, et a saisi l’occasion pour l’entretenir sur bien des questions. Pour Ferhat Mehenni, « Ce combat remet la Kabylie dans le lit de son histoire. Nous en sommes fiers, nous mettons en place pierre par pierre les attributs de solidarité de la Kabylie jusqu’à ce que nous soyons une nation indépendante ».

Ferhat Mehenni: président du GPK 
(Gouvernement Provisoire Kabyle)
 

Saliha Abdenbi : Vous espérez un rapprochement des forces politiques kabyles notamment avec FFS, RCD, etc. Quelles sont les démarches entreprises ou envisagées pour cela?

 

Ferhat Mehenni : Pour des rapprochements entre forces politiques, il faut nécessairement une disponibilité. Nous avons effectivement un minimum de disponibilité de la part du RCD. En ce qui concerne le FFS, il y a absence de partenaire pour le moment. Monsieur Ait Ahmed, pour qui j’ai admiration et respect, ne serait plus en mesure d’assurer la direction, et ceux qui occupent les fonctions officielles, actuellement, ne seraient pas sur la même longueur d’onde. Nous avons des contacts avec des individualités, des personnalités du FFS, mais il n’y a pas de rapport officiel. Sur le plan du RCD, il y a un peu plus de contacts qu’avec le FFS. Ceci dit, nous ne désespérons pas; nous avons toutes les raisons de nous retrouver autour du thème ne serait-ce que pour la sauvegarde de la Kabylie; qu’elle ne soit pas agressée et que ses valeurs soient nourries, conservées, protégées, ses enfants également. Quelles que soient les orientations idéologiques de nos partenaires kabyles, c’est-à-dire qu’ils soient algérianistes,ou même qui confinent à la négation de la Kabylie et du peuple kabyle, il n’en demeure pas moins qu’ils sont d’origine kabyle et sensible au devenir de la Kabylie. Je leur dis tout simplement qu’aimer la Kabylie n’est pas incompatible avec le fait d’aimer leur Algérie. Pour nous, il est utopique, mais ils ont le droit d’y croire. Nous respectons cette position de leur part. Bien entendu, nous souhaiterions qu’ils respectent la nôtre.

 

Saliha Abdenbi : Justement votre discours est explicitement en rupture non seulement avec la conception politique algérianiste du pouvoir, mais également en rupture avec les discours politiques des partis traditionnels comme le FFS et le RCD. Comment pensez-vous trouver une entente sur le fond viable et durable avec ces derniers?

 

Ferhat Mehenni : Il y a des périodes et des conjonctures qui poussent naturellement les forces politiques à prendre l’angle contraire. Il y aura nécessairement des élections (et) nous pourrions un jour changer d’attitude pour conclure un pacte sur la base d’un certain nombre de conditions que nous posons s’ils veulent bien le faire, s’ils veulent du moins sauver quelque chose de leur structure. Nous sommes là pour les aider et non pour les entraver. Mais il y a un minimum de base, le « SMIG » politique, sur lequel nous souhaiterions qu’ils soient d’accord. Je ne désespère pas que l’intérêt et la conjoncture, aidant, puissent primer pour ce rapprochement. Nous y travaillons de notre côté. Nous ne sommes pas là pour agresser, pour comprendre et pour aussi interpréter : quand nous interprétons une position ou un discours de quelqu’un ou d’un parti politique, notamment, nous ne le faisons pas pour agresser, nous donnons juste notre lecture de ce qui a été dit ou de ce qui a été fait. Il y a des alliances qui nous paraissent contre nature chez ces deux partis (FFS, RCD) et nous souhaiterions qu’au lieu de s’allier soit avec le pouvoir, soit avec les islamistes qu’ils s’allient avec nous d’abord. L’Algérie a été le fossoyeur de la Kabylie depuis l’indépendance et je crois que chacun en tire les conséquences petit à petit. Je ne doute pas qu’ils soient conscients de cela et qu’un jour ou l’autre le rapprochement sera une réalité et (même) plus qu’un rapprochement, il y aura une alliance entre nous.

 

Saliha Abdenbi : Lorsque les différences d’opinions et de positions sont vécues et traduites comme source de divisions, est-ce un signe d’immaturité démocratique de la société kabyle ou est-ce inhérent à la vie démocratique et donc indépassable, comme on peut en dénombrer par ailleurs quelques exemples dans les pays démocratiques?

 

Ferhat Mehenni : On se dit démocrate, mais on a des réflexes de parti unique : « Qui n’est pas de mon avis est mon adversaire ». Or, je pense que c’est la diplomatie kabyle au service de l’Algérie qui a inventé le principe selon lequel « Qui n’est pas avec moi, n’est pas forcement contre moi ». Nous appelons le FFS et le RCD à comprendre que nous sommes leurs frères et que la Kabylie nous unit. Par delà, tout ce qui peut nous séparer sur la vision d’une Algérie dans laquelle nous ne croyons pas nous.

 

Saliha Abdenbi : Quel est le rôle que peut jouer la diaspora kabyle dans la construction de la Kabylie actuelle?

 

Ferhat Mehenni : C’est grâce à la diaspora que la Kabylie tient encore debout. C’est parce qu’économiquement, elle n’arrive pas à être étouffée par le régime alors que le sabotage économique de la Kabylie est flagrant. C’est une constante de la ligne de conduite du régime algérien depuis 1965 : la Kabylie doit être affamée. C’est grâce à la diaspora kabyle, à la solidarité familiale et à la solidarité villageoise que la Kabylie tient debout. Si je rends hommage à cette diaspora qui, aussi, participe autant de la démocratisation des structures de la Kabylie que de son environnement. Elle participe également à l’apport de nouvelles idées.

C’est dans la diaspora qu’il y a eu, notamment au Québec, les premières adhésions de la diaspora pour les thèses d’autonomie de la Kabylie ou pour un destin particulier pour la Kabylie. On a vu également le lever du drapeau officiel kabyle à Montréal, puis à Paris a eu de l’influence, de l’incidence sur la mobilisation en Kabylie. Comme ce qui se passe en Kabylie a aussi de l’influence sur la diaspora. Pour une fois, nous sommes véritablement un même organe, une même nation, nous sommes solidaires entre nous quoi qui nous arrive. C’est cela qui fonde une nation. Quand une partie de la Kabylie se désintéresse du drame que celle-ci vit, cela veut dire que nous ne sommes pas une nation. Mais dès lors que chacun se sent touché dans sa chair quand un enfant kabyle est tué, blessé, torturé ou violenté cela prouve que nous sommes une même famille et une nation est une même famille.

« Ce combat remet la Kabylie dans le lit de son histoire. Nous en sommes fiers, nous mettons en place pierre par pierre les attributs de solidarité de la Kabylie jusqu’à ce que nous soyons une nation indépendante » Ferhat Mehenni.

 

Saliha Abdenbi : quelles sont les démarches entreprises pour jeter les pans sur le mouvement indépendantiste ici au Québec? Pour une représentativité et une visibilité de la cause kabyle?

 

Ferhat Mehenni : des liens de solidarité avec des souverainistes québécois ne date pas d’aujourd’hui. Dès la naissance du MAK (Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie), j’ai été reçu par Gilles Duceppe, Daniel Turp, puis par Pauline Marois et j’ai même été reçu par M. Landry, ex. Premier ministre du Québec. Nous avons entretenu des relations et nous avons plusieurs fois discuté de la manière de mieux mutualiser nos moyens et nos causes. Nous sommes solidaires de leur combat parce qu’il est pacifique et ils sont solidaires du nôtre parce qu’il est politique.

 

Saliha Abdenbi : Un dernier mot?

 

Ferhat Mehenni : Je tiens à rassurer le peuple kabyle sur notre action et notre démarche. Personnellement, je ne suis pas quelqu’un qui renonce à une cause juste. J’ai donné toute ma vie au combat pour la Kabylie. On croyait que c’était d’abord un combat pour tamazight seulement, un combat culturel, linguistique et identitaire, puis au fil du temps, nous avons découvert que nous étions dans une impasse historique et nous avons fait le pas d’oser la Kabylie pour elle-même, pour ses enfants. Ce combat remet la Kabylie dans le lit de son histoire. Nous en sommes fiers, nous mettons en place pierre par pierre les attributs de solidarité de la Kabylie jusqu’à ce que nous soyons une nation indépendante comme les nations du monde ayant droit de citer dans le concert des nations et au sein des Nations unies. Nous allons de l’avant.

Nous sommes là pour épargner des vies humaines et non pour exposer les gens. Nous sommes là pour construire de l’espoir, pour construire un avenir de paix et de prospérité pour nos enfants. Et je ne pense pas pour ceux qui craignent un bain de sang notamment : d’abord je tiens à rassurer que nous ne sommes pas dans cette perspective de violence en ce qui nous concerne et je tiens aussi à rassurer sur le fait que notre combat protègera l’avenir des enfants de la Kabylie au moins leur épargner les affres de ce que nous avons subi ou notre génération a subi.

 

Entretien réalisé par Saliha Abdenbi pour KU

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