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Bouaziz Ait Chebib

Rencontré avant son arrestation la semaine passée à Michelet, Bouaziz Aït Chebib, ancien président du MAK, a volontairement répondu à nous questions. Il  n’a rien perdu de sa verve de militantisme. Sans lui poser la question sur le volet économique, Bouaziz  a reconnu et assume même que lui et ses compagnons n’ont pas assez développé ce domaine. Une reconnaissance qui confirme amplement  sa maturité politique, ce qui est rare chez les politiciens kabyles, mais aussi sa préoccupation et  inquiétude de l’avenir de la Kabylie. Dans ses longues analyses, Aït Chebib insiste souvent sur le mot union. Pour lui, c’est la planche de salut pour le peuple kabyle. Connu aussi pour sa perspicacité,  l’ancien président du MAK a averti ses compatriotes souverainistes de  ne pas suivre la voie du FLN et le mieux est de s’ouvrir sur d’autres expériences.

Tamurt : En tant qu’ancien président du MAK, quelle est la stratégie la plus adéquate pour réaliser le projet des souverainistes kabyles ?

Bouaziz Aït Chebib : Avant de répondre à votre question, je dois d’abord préciser un point important : je n’interviens pas au titre d’ancien président, j’interviens dans le débat politique en tant que militant souverainiste kabyle et toutes mes déclarations n’engagent que ma personne. Etre ou disparaître, telle est la question qui se pose aujourd’hui au peuple kabyle qui endure péniblement les affres du colonialisme arabo-islamique. Le seul remède à la répression, l’oppression, l’arabisation, la salafisation, la misère socio-économique et à tous les désastres que subit la Kabylie, réside dans l’unité et la fraternité des kabyles sur un minimum commun : l’édification d’un Etat kabyle, au plus tôt, et au mieux des intérêts de la Kabylie. L’union des forces vives kabyles soucieuses de réaliser l’édification d’un Etat kabyle constitue la seule voie salvatrice pour le peuple kabyle qui lutte depuis son annexion par la France coloniale à l’Algérie française, avant de devenir une province d’un Etat arabe et islamique. C’est l’unique moyen de s’émanciper de toute forme de jougs.La Kabylie a, de tout temps, inscrit son combat dans ses valeurs ancestrales, pour beaucoup conformes aux principales valeurs universelles, notamment en de terme de respect de l’intégrité physique et morale du citoyen et d’organisation sociopolitique d’essence démocratise. Ainsi, la paix, la justice, la dignité, la solidarité, le respect, la tolérance, l’ouverture, le progrès et la protection de l’environnement sont le socle autour duquel est constitué notre combat libérateur. Le souverainisme doit s’émanciper du nationalisme algérien et puiser ses références dans l’histoire et la culture kabyles, tout en s’ouvrant sur d’autres expériences, afin de ne pas emprunter la même voie que le FLN qui s’est calqué sur le modèle jacobin français, reproduisant le même schéma colonial à l’encontre du peuple kabyle et des autres peuples amazighs, notamment le M’zab.

Nous avons milité avec force et conviction pour l’indépendance de la Kabylie, en privilégiant  le droit à l’autodétermination comme mode d’action politique, stratégique et fédérateur face aux cercles de perversion des concepts inféodés au régime colonial d’Alger. Nous avons œuvré sans relâche à l’unification des forces vives de la Kabylie désireuses de soustraire la Kabylie à la tutelle mortelle de l’Etat algérien, condition sine qua non, pour toute construction d’un État kabyle libre, démocratique, social et laïc ; tout en respectant la volonté, la souveraineté du peuple kabyle quant au choix final de son destin par voie référendaire. Aussi, face à l’urgence de soustraire au plus vite la Kabylie du régime colonial algérien, le devoir patriotique exige de nous, de composer avec toutes les sensibilités politiques qui défendent un destin proprement kabyle, afin d’unir les kabyles sur l’exigence d’un referendum d’autodétermination, et ce, sur la base légale du droit international. C’est la base de toute démocratie d’impliquer le peuple dans l’édification de son propre Etat, car rien ne se fera sans l’adhésion librement exprimée du peuple kabyle. Loin de nous l’idée de nous substituer aux organisations kabyles existantes, politiques ou autres. Bien au contraire, notre objectif est de tenter de rapprocher les points de vue dans l’espoir de donner matière à un consensus kabyle sur le minimum commun que nous situons, quant à nous, au niveau de l’édification d’un Etat kabyle. C’est précisément dans cette optique de rassembler toutes les énergies kabyles en faveur d’une Kabylie libre, digne et prospère, que nous réitérons notre proposition en faveur de la tenue d’une Conférence de la fraternité kabyle qui aura pour buts de :

–   Rassembler les diverses sensibilités politiques kabyles pour rétablir le dialogue entre kabyles et instaurer un débat serein et fraternel. La Kabylie a besoin de tous ses enfants. Elle réclame le rassemblement de toutes ses forces positives.

–  Signer un pacte de respect mutuel entre toutes les sensibilités, sans pour autant entraver le débat contradictoire où chacun aura à charge de convaincre l’autre du bien fondé de ses positions.

–   Dégager les dénominateurs communs sur lesquels l’ensemble des sensibilités pourra s’engager à travailler pour le bien de la Kabylie ; car quelles que soient les divergences qui peuvent exister entre les différentes sensibilités, elles partagent l’essentiel : la défense des intérêts de la Kabylie.

–  Mettre sur pied des institutions populaires participatives qui auront pour mission de défendre et de protéger les intérêts immédiats de la Kabylie contre les graves nuisances et atteintes du régime colonial algérien.

–       Œuvrer à réfléchir et à trouver le meilleur moyen d’impliquer davantage les femmes dans la construction et la prise en charge du destin d’une Kabylie, certes authentique, mais moderne, ouverte sur le monde libre et foncièrement acquise au principe d’égalité et d’équité. Un peuple qui écarte la moitié de sa société est condamné à sombrer dans les ténèbres de l’humanité.

Il faut bien comprendre le sens de notre modeste proposition, nous ne cherchons pas à nous substituer à un courant politique ou à un autre. Notre objectif est de contribuer  à construire des ponts entre différents acteurs de la Kabylie. De ce fait, nous restons ouverts et disposés à soutenir toute autre démarche allant dans le sens du rassemblement des forces kabyles soucieuses de soustraire la Kabylie à l’action destructrice de l’Etat algérien.

Malgré les grandes avancées dans le combat politique pour la libération de la Kabylie, nous avons un talon d’Achille : le volet économique que nous n’avons pas suffisamment investi, ne serait-ce que du point de vue de la réflexion, exception faite d’un dossier économique : « économie kabyle : perspectives de développement durable ». Aussi, de même qu’il faudra poursuivre et intensifier le travail de conscientisation politique de la Kabylie, il faudra absolument le consolider par un travail approfondi sur l’économie pour répondre aux appréhensions du peuple kabyle sur ses potentialités économiques, et celles-ci ne sont pas des moindres contrairement à ce que tentent de nous faire croire les partisans de la dissolution du peuple kabyle dans le monde arabe. Si on arrive à rassurer le peuple kabyle sur cette question, de la Kabylie sera mis sur rail bien plus tôt qu’on ne pourrait le penser. Point besoin d’une autre vérité que celle que nous renvoient  les événements qui se déroulent sur le terrain ! Il en ressort, sans doute aucun, que notre peuple n’a d’autre objectif que celui de construire son avenir propre sur la terre de ses ancêtres. Il devient, par conséquent urgent et vital de prendre conscience que l’heure est à la construction d’un consensus entre les forces vives kabyles sur la base d’un intérêt commun et immédiat : c’est-à-dire, la mise en place, de fait,  d’un Etat  kabyle  et ce, pour contrer au minimum l’insécurité voulue et entretenue par l’Etat algérien (notre jeunesse se fait assassiner à tour de bras, nos militants persécutés et traqués) ; l’islamisme et l’arabisme qui s’installent insidieusement en Kabylie (construction de mosquées et d’écoles coraniques salafistes dans les villages de haute montagne pendant que les islamistes du Hamas  sont majoritaires dans plusieurs localités lors de la mascarade du 04 mai dernier) ; la ruine de l’économie kabyle et de son espace géographique par le pillage (sable- eau) ou le sabotage (incendies réguliers). Il est vital de consolider le combat politique  par la mobilisation de toutes les énergies afin de prendre en charge les problèmes quotidiens du peuple kabyle qui ne peuvent pas attendre l’avènement de l’État kabyle. En d’autres termes, parallèlement à la lutte pour la libération de la Kabylie, on doit bâtir un État kabyle de fait. Et mettre le pouvoir colonial algérien devant le fait accompli. La Kabylie est arrivée aujourd’hui à un stade avancé dans la destruction  préméditée qu’elle subie. Il nous faut agir en urgence en s’unissant sur un minimum de points essentiels.

Tamurt : Et la désobéissance civile, ce n’est pas une solution ?

Bouaziz Aït Chebib : Chaque peuple se donne les moyens de sa lutte. Le peuple kabyle a choisi le combat politique et pacifique. Ce choix, essentiel, est irréversible.

Quant à la désobéissance civile, il faut dire tout de même que le peuple kabyle est en désobéissance civile permanente. Je rappelle que nous avons organisé des votes pour l’élection du drapeau kabyle dans les villages de Kabylie ; nous avons organisé des meetings, des rassemblements, des lever de drapeau kabyle, le tout au nez et à la barbe des services répressifs algériens. Nous avons mené des actions de rue sans jamais demander aucune autorisation. Nous avons même organisé un congrès sous état de siège. Nous avons obligé des ministres algériens à rebrousser chemin, et quand ils sont venus soi-disant se recueillir sur la mémoire du grand chanteur Taleb Rabah, ils ont été obligés de passer sous les drapeaux kabyles et amazighs que le MAK a fait flotter au-dessus de leur tête ,alors si tout cela ce n’est pas de la défiance, je me demande bien comment on pourrait définir ces actions.

La Kabylie est en danger. Il faut agir vite et intelligemment. La désobéissance ne consiste pas à engager la totalité du peuple kabyle dans des actes de défiance  qui mettrait  inutilement en difficulté la société kabyle qui croule déjà sous toutes sortes de difficultés.

Le devoir patriotique nous recommande d’être responsable et d’orienter l’esprit de désobéissance civile, vers la construction civile, la cimentation d’une nation,  pour enfin aboutir à l’instauration d’un Etat kabyle de fait, en commençant par la réhabilitation et la modernisation de l’organisation socio-politique ancestrale afin de permettre à nos villages et à nos quartiers de recouvrer leur souveraineté. L’édification de l’Etat kabyle doit se faire à la base en mobilisant toute les énergies d’où notre proposition de la conférence de la Fraternité kabyle.

Tamurt : Les islamistes gagnent du terrain. Le combat démocratique n’est-il pas en péril ?

Bouaziz Aït Chebib : L’islamisme est sciemment installé et protégé par l’Etat algérien.  Avec un financement colossal émanant aussi bien des institutions algériennes que des pétrodollars, l’islamisme ne peut que prospérer au détriment de nos valeurs démocratiques et de notre combat pacifique et progressiste.  Les mosquées, l’école, les médias, … tous sont mis au service de la dékabylisation de l’environnement kabyle et du kabyle lui-même, notamment par une salafisation active, et en profondeur, de la société kabyle.

L’islamisme se nourrit de la politique arabo-islamique de l’Etat algérien qui, à vrai dire, est son géniteur, son promoteur ; il se nourrit également de la misère socio-économique qui a atteint aujourd’hui son paroxysme ; misère socio-économique sciemment installée et entretenue en Kabylie par l’Etat algérien.

Face à ce péril qui tente d’anéantir notre identité, il est temps de mettre en place un front pour la sauvegarde de notre Kabylité.

Les militants kabyles  luttent  avec abnégation pour préserver l’identité spécifique de la Kabylie, en l’éloignant au maximum des attributs islamistes grassement sponsorisés par l’Etat algérien,  mais au risque de me répéter, faire face à ce type de fléau, le combat ne peut pas être uniquement politique, il faut le mener sur tous les fronts, d’où l’urgence d’aller vers un rassemblement de toutes les forces vives de la Kabylie.

Tamurt : Vous étiez le premier à appeler à des marches à Tuvirett après la répression de la marche du 20 avril. Pourquoi vous n’avez pas fait la même chose pour les autres régions de Kabylie, comme Boumerdès par exemple ?

Bouaziz Aït Chebib :Le combat souverainiste concerne la totalité du territoire kabyle. Avec mes camarades, j’ai sillonné toutes les régions kabyles, et ce, au risque de nos vies pour semer les graines de la liberté en faveur de la Kabylie.

Les régions limitrophes, comme Boumerdès, Sétif, Bordj … ont toujours été mises en valeur dans mon discours car elles ont toujours constitué, par leur attachement viscéral à leur kabylité, le rempart qui a sauvé la Kabylie d’une mort certaine : l’arabisation et la substitution identitaire. Bien que ce soit difficile de militer dans ces régions, nous avons réussi à réaliser de belles choses :

Pour Sétif : beaucoup de kabyles ignorent que nous avons organisé la première marche dans l’histoire de la mouvance kabyle le 17 avril 2011 à Bouandès. Cette marche a été suivie par l’installation de sections et l’animation de plusieurs conférences et rencontres citoyennes à Bousellam, Souk Elhed et Guenzet-At Yaâl, région du sinistre Toufik. Durant l’hiver 2012, nous avons organisé un grand élan de solidarité en venant en aide aux familles en péril dans plusieurs communes de Sétif. Les articles sont là pour en témoigner.

Pour Bordj : même si le terrain est difficile à investir, nous avons pu intervenir quand les enseignants de tamazight étaient lésés par l’académie de Bordj.  C’est suite à notre appel à un sit-in devant cette institution algérienne que les victimes ont été régularisées.

Avec  Idir Oulounis, membre de mon ancienne direction, on s’est même déplacé à Djaafra pour y organiser  une cérémonie symbolique de remise de carte d’identité kabyle. La suite, c’est que les militants de Djaafra ont été traqués par la gendarmerie algérienne.

Pour revenir à Boumerdès, il ne s’agit pas d’omission. Pour rappel, je me suis déplacé dans plusieurs localités de cette région kabyle, entre : Chaâbat Lâamer où je m’y suis rendu avec le chanteur engagé Said Kessas que je salue au passage, plusieurs à Laâziv (Naciria) où j’ai animé une rencontre citoyenne et prendre part à une cérémonie symbolique de remise de carte d’identité kabyle organisés par des militants locaux. Nous avons installé une coordination à Timezrit. Et je rappelle que durant l’hiver 2012, on s’est déplacé dans les zones reculées de Boumerdès pour aider les familles en denrées alimentaires.

J’ai proposé une marche nationale kabyle à Tuvirett dans un contexte bien spécial : ma proposition remonte à Yennayer, quand j’avais attiré l’attention sur la volonté du régime algérien de soustraire Tuvirett de la Kabylie en tolérant les marches de Vgayet-Tizi Ouzou et en réprimant avec férocité les marches de TUVIRETT. Donc ma proposition est venue pour essayer d’unifier les rangs kabyles autours de la défense de notre territoire sous le slogan que j’avais lancé « Ulac Taqvaylit ma ulac Tuvirett »…

Ce qui est valable pour Tuvirett l’est aussi pour Boumerdès, Bordj, Sétif, Jijel. Le régime algérien vise, à travers ses politiques d’arabisation, conjugués au charcutage administratif, à minorer les populations kabyles et à les diluer, progressivement mais surement, dans un environnement arabo-islamique.

Cela dit, il ne suffit pas d’appeler à des marches mais il faut d’abord être certain de pouvoir les réaliser. Nous avons défriché le terrain et accompli pars mal de chose mais ça reste, bien sûr, insuffisant. Il nous appartient de redoubler d’efforts pour pouvoir implanter davantage le souverainisme kabyle sur le plan organique dans ces régions limitrophes. Il y va de la survie de la Kabylie.

Tamurt : Sur le terrain, on constate un net recul des activités souverainistes kabyles. Ne pensez pas que votre retrait de la présidence du MAK en soit la principale cause ?

Bouaziz Aït Chebib : Vous savez, comme on dit « Tout le monde est utile, personne n’est indispensable », c’est valable pour tout le monde.  Pour ce qui nous concerne, nous avons accompli notre devoir et nous avons permis l’émergence de nouvelles compétences dans notre jeunesse.  Ces jeunes qui ont pris le relais font de leur mieux pour être à la hauteur de leur mission face à une répression qu’il n’est pas facile d’affronter.

Le régime colonial algérien a entamé sa politique répressive avec l’interdiction et l’empêchement de la marche du 12 janvier 2012.

Suite à la démonstration de force de la marche du 27 avril 2014 qui a été une réponse historique et magistrale à la répression barbare de la marche du 20 avril 2014 à Tizi Ouzou, le régime colonial a mobilisé la voyoucratie pour arrêter briser la déferlante souverainiste kabyle. Personnellement, j’ai été visé à plusieurs fois.

Depuis, elle s’accentue d’année en année  pour  atteindre un point de non-retour le 14 juin 2016 avec ce qui s’est passé à Larev3a N At Iraten (LNI) où des militants ont été tabassés au commissariat et où certains policiers les ont menacé de leurs armes à feu et ont même failli tirer sur eux.

La marche du 20 mai dernier à Tuvirett a elle aussi été sauvagement réprimée, et c’était prévisible. La commémoration de la marche historique du 14 juin érigée en « Journée de la Nation Kabyle » est marquée cette année aussi par une répression d’une rare violence.

La politique répressive et oppressive du régime algérien s’est amplifiée au point de dépasser celle de son géniteur : la France coloniale.
A la lumière  des violences endurées par les militants souverainistes kabyles, auxquels j’exprime  mon  soutien fraternel et indéfectible,  il est clair que la situation n’augure rien de bon pour le peuple kabyle. De mon point de vue, il faut trouver d’autres modes opérationnels pour surmonter  cette répression et aller de l’avant sur le terrain. Et je pense que la création d’un média lourd dédié au souverainisme kabyle devient indispensable.

Enfin, je le répète encore une fois, la meilleure attitude à adopter face à la répression c’est d’agir dans l’union.

Tamurt : Quel est le scénario le plus plausible pour les présidentielles de 2019 en Algérie ? Quelles seront les répercutions envisageables pour la Kabyle ?

Bouaziz Aït Chebib :Les élections algériennes, présidentielles ou autres, ne nous concernent pas. Le rôle principal de ces élections consiste à légitimer au moyen d’un simulacre de scrutin, et par un pseudo-vote citoyen, la négation même de la Kabylie en tant que peuple et nation ; ces élections consistent à installer la Kabylie irrémédiablement dans le giron de l’arabo-islamisme qui est le fondement unique et sacré de l’Etat algérien, et ce, très concrètement au détriment de la Kabylie et des autres peuples Amazighs. Voilà quelles sont les répercussions des élections algériennes en Kabylie.

De ce fait, nous rejetons évidemment toutes les élections algériennes et nous le faisons avec d’autant plus de « bonne conscience » que tout le monde sait en Kabylie que les élus, quels qu’ils soient, n’ont, de toute façon, aucun réel pouvoir.

Pour que la Kabylie sorte de sa profonde léthargie et qu’elle cesse de se faire docilement phagocyter par le monde arabo-islamique, notamment via l’ensemble des institutions étatiques algériennes, elle doit impérativement opérer une rupture radicale avec l’arabo-islamisme. On sait, à travers l’histoire des peuples, qu’aucune cohabitation pacifique avec cette idéologie n’a jamais été possible. La Kabylie n’est pas tenue de réaliser l’impossible, et à son propre détriment.

Aussi, pour revenir à votre question justement, j’insiste sur le fait que la seule échéance électorale qui peut concrètement intéresser la Kabylie, c’est un référendum d’autodétermination, sous l’égide des instances internationales, qui redonnera la voix au peuple kabyle pour choisir lui-même le statut politique et juridique qui lui sied.

Peu importe celui qui accèdera à la première magistrature algérienne, le résultat sera toujours le même pour la Kabylie : la pérennité du régime colonial algérien avec comme objectif le parachèvement de la politique d’anéantissement de la Kabylie.

La Kabylie n’a pas d’autre choix que de s’affranchir totalement de l’arabo-islamisme algérien ou alors elle disparaitra.  Et si le peuple kabyle veut continuer à marquer son territoire de sa propre histoire alors il est d’ores et déjà appelé à édifier son propre Etat.

Tamurt : On assiste à un soulèvement inédit de la population Rifaine,  ce mouvement peut-il déclencher d’autres contestations à travers l’Afrique du nord ?

Bouaziz Aït Chebib : Tout d’abord, en tant que frère et allié naturel d’un autre peuple Amazigh, permettez que je salue le courage et la détermination du peuple Rifain auquel je réitère mon soutien total et indéfectible. Je félicite sincèrement les rifains pour leur organisation et leur gigantesque mobilisation citoyenne. Cela nous démontre que « quand on veut on peut » et que les peuples amazighs peuvent accomplir de grandes et belles choses quand ils s’investissent et  agissant  massivement dans l’intérêt commun. Vous savez, le Rif occupe une place particulière parmi les peuples amazighs. Dans l’Histoire de l’Afrique du Nord, c’est le Rif qui a bâti  la première « République » en Afrique du Nord : la fameuse République du Rif instaurée en 1921 par feu Abdelkrim. C’est entre autre la République et la guerre du Rif qui a éveillé les premiers patriotes kabyles, à l’image d’Amar Imache et de l’Etoile Nord-Africaine, avant qu’elle ne soit détournée par Messali Hadj. Il faut savoir aussi que la toute nouvelle République du Rif livra une guerre féroce à deux grandes puissances colonialistes : la France et l’Espagne, deux grandes puissances militaires alliées contre un peuple de vaillants et dignes montagnards. Par leur alliance avec le Royaume du Maroc contre le Rif, les deux puissances coloniales européennes légitiment leur entreprise d’éradication de la première République amazighe d’Afrique du nord. La France et l’Espagne vont livrer au Rif une guerre sauvage et inhumaine. C’est en Afrique du Nord, dans le Rif, contre la République du Rif et contre le peuple rifain, que l’Espagne livrera la première guerre chimique de l’histoire de l’humanité.

Écrasé depuis des décennies par le despotisme du Makhzen, le Rif, qui n’a rien oublié de son histoire, se redresse pour défendre sa dignité et dire non à la servitude. Le Rif peut être, avec la Kabylie, un point de départ important pour l’édification  des Etats amazighs en Afrique du Nord ; comme auraient pu l’être aussi l’Azawad, si l’Etat algérien et les intérêts géostratégiques occidentaux, et français plus particulièrement, n’avaient pas réussi à introduire le virus de l’islamisme dans la révolution azawadienne, notamment à travers les « Touaregs dénaturés »  d’Ansar Eddine ; puis au moyen d’un chantage sécuritaire allant crescendo, ils ruinèrent la révolte touarègue en installant le chaos et la désolation. Le peuple Touareg est aujourd’hui réduit à subir les lois barbares de la lapidation, comme cela a été le cas encore tout récemment.

Tous les Etats nord africains ont peur que la révolte rifaine contamine d’autres peuples de Tamazgha ; une contamination qui n’est pas à écarter dès lors que le peuple Rifain bénéficie déjà du soutien naturel et spontané des autres peuples Amazighs, en plus de la justesse et la noblesse de son combat.

Contrairement à ce qui est répandu ici et là, l’Algérie est un allié naturel du Maroc dès qu’il s’agit d’empêcher l’émancipation d’un peuple Amazigh. Et vice-versa. En Afrique du Nord, l’Algérie et le Maroc sont deux faux Etats arabes qui se disputent un pseudo leadership régional aux dépens des vrais peuples amazighs dont l’extinction est indiscutablement le vœu commun. Au sein de ces dictatures imprégnées de l’idéologie conquérante de l’Arabo-islamisme, le peuple rifain subit au Maroc ce que subit le peuple kabyle en Algérie et en tant que Kabyles libres, nous ne pouvons qu’apporter notre soutien au peuple frère du Rif qui lutte, comme le peuple kabyle, pour le recouvrement de sa souveraineté perdue.

Aujourd’hui, plus que jamais, au vu des politiques lourdement assimilationnistes, répressives et oppressives des faux Etats nord-africains, il est impératif que les militants amazighs qui luttent pour leur existence en tant que peuples et nations se rassemblent autour d’une organisation nord-africaine  dédiée à la solidarité entre les  peuples Amazighs et à la défense de leur droit à l’autodétermination.

Je suis convaincu que le combat du Rif se rajoute à celui de la Kabylie qui lui-même se rajoute à celui de l’Azawad auquel se rajoute, à son tour, celui du Mzab et des amazighs de Libye. C’est la somme de toutes ces luttes, auxquelles d’autres viendront se rajouter, que les luttes des peuples Amazighs iront enfin vers la victoire. Mais avant cela, ils devront prendre pleinement conscience de nos erreurs passées et méditer sur la surprenante répétition de nos échecs.

 Tamurt : Le mot de la fin

Bouaziz Aït Chebib : L’oubli est pire que la mort. A l’occasion de la commémoration de la marche historique du 14 juin, correspondant à la « Journée de la Nation Kabyle »,  j’ai une pensée particulièrement  patriotique pour tous les martyrs et les héros de la Kabylie. Notre devoir est de poursuivre leur combat qui incarne l’espoir, la vie, la dignité, l’unité et la liberté.

J’appelle les militants kabyles à la fraternité au dialogue. Je les appelle à cesser les polémiques inutiles et contreproductives  qui affaiblissent notre combat commun à tous qui est de libérer la Kabylie du joug colonial arabo-islamique. Agissons avec sagesse en sacralisant la liberté d’opinion et d’expression en faisant de nos divergences une source de richesse et non pas une faiblesse.

Nul ne détient la vérité absolue ; et du débat démocratique et serein jaillira forcément  la lumière.

Dans le discours, tous les kabyles appellent constamment à l’unité mais sur le terrain, ils font l’inverse. La Kabylie libre se réalisera dans l’Union et non pas dans la division.

Je termine avec cette citation ô combien significative du patriote de toutes les patries opprimées, Matoub Lounes:  «  Win i k-yennan: d acu i d tafat?  In’as: d iγallen yedduklen »

Interview réalisée par Ravah Amokrane  ( Source Tamurt.info)

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