Ali Amran, vous venez de rentrer au bled pour quelques jours de vacances et peut-être pour quelques galas. Cela fait longtemps que l’on n’a pas eu de vos nouvelles. Alors, quelle est votre actualité ?
Il n’y a peut-être pas beaucoup de communication autour de tout ce que je fais, mais je continue mon petit bonhomme de chemin, je continue à travailler. Là, je viens de finir la saison avec pas mal de concerts en France. Je me suis également produit au bled il n’y a pas très longtemps, avec deux concerts, l’un dans la ville de Tizi Ouzou, et l’autre à Boudjima. Parallèlement, je suis en train de préparer mon nouvel album. J’ai déjà fait quelques sessions et je vais en faire d’autres.
Justement, qu’est-ce que vous pourriez nous dire sur ce nouvel album ? Sera-t-il dans la continuité de ce que Ali Amran a produit jusqu’à ce jour, ou bien y aura-t-il des surprises ou des expériences nouvelles ?
C’est vraiment la même démarche, mais je pense que ce nouvel album sera l’aboutissement de toute cette démarche basée sur l’expérimentation d’une certaine manière. Avec ce nouvel album, je pense que je suis arrivé à ce que je voulais, à ce que je recherchais quand j’ai commencé à faire de la musique et à aller dans ce sens. Sinon, le nouvel album se mijote à petit feu et à feu de bois (rires). Ce sera de l’acoustique.
Dans la démarche qui a été la votre jusqu’à présent de porter ce style musical au-delà du public algérien ou nord-africain, est-ce qu’il y a des perspectives qui s’ouvrent devant vous ?
Oui. Tout à fait. D’ailleurs, je me produis plus à l’extérieur qu’ici, en Algérie. Au point que, parfois, il y a de quoi se poser des questions. L’idée est de pouvoir ouvrir cette musique au monde et à ceux qui n’ont pas spécialement cette culture musicale particulière. Sinon, voilà, j’ai réalisé un projet qui m’a été commandé par le Festival Africolors, en France, qui voulait rendre un hommage à Matoub Lounès, mais que cet hommage musical soit accessible aux oreilles qui ne sont pas habituées à ces sonorités «chaâbies» et traditionnelles.
Quand ils m’ont contacté pour faire ça, j’ai repris des morceaux du répertoire de Matoub, mais différemment, avec un son pop rock. Ainsi, musicalement, ça leur parle. Une fois que c’est transformé, ça devient des morceaux plus accessibles. C’est tout l’intérêt de ce que moi j’essaie de faire.
Etant l’un des porte-étendards de la nouvelle musique kabyle, à votre avis qu’est-ce qui a manqué à la nouvelle génération pour émerger et aller plus loin ?
Globalement, ce que l’on appelle la musique moderne, c’est celle des années 70’. Aujourd’hui, on essaie d’aller un peu plus loin, mais pour que cela émerge, il n’y a pas que le côté artistique qui doit primer. Il y a bien évidemment le travail sur le plan artistique, c’est-à-dire comment trouver de nouvelles idées et de nouvelles voies, mais il y a également un travail de promotion, de mise en valeur, mais malheureusement cela manque encore. Mais bon, les choses avancent, aujourd’hui on voit beaucoup de scènes et il y a pas mal de bons groupes qui arrivent. Il y a une reprise, y compris ici en Kabylie.
On peut dire qu’il y a du potentiel et qu’une voie s’est ouverte. Les gens peuvent jouer de la musique kabyle avec guitare, basse, batterie ou de manière traditionnelle. Il y a eu des expériences où des gens on essayé, par exemple, de faire du rock, mais à l’occidentale, et cela n’a pas vraiment eu d’impact sur le public. Personnellement, dans ma façon de faire les choses, je pense que je privilégie beaucoup plus ce qu’on a vraiment de particulier, de caractéristique : c’est la mélodie. C’est comment on chante et comment on place la mélodie. C’est ce qu’on essaie de garder et qu’on cherche à mettre en valeur avec de nouvelles sonorités rock.
Il s’agit de garder l’âme….
Oui, tout à fait, c’est ça. Il s’agit de garder l’âme, en proposant un nouvel habillage. Vous voyez, quand on vous dit : cette chanson «thessaa rruh n taqvaylith», (cette chanson a une âme kabyle), au départ, je ne savais même pas où se trouvait cette âme. (rires). Si c’est dans la mélodie, le rythme ou ailleurs. Donc, j’ai commencé à travailler et à chercher, puis petit à petit, on se rend compte que l’âme est présente, surtout dans la mélodie. C’est elle qui porte les sentiments. Et puis il y a les rythmes et tout cela se travaille, se perfectionne pour mettre en valeur les choses.
C’est un peu l’histoire de Tavalizth, qui date des années 50’ et qui entame une nouvelle vie grâce à une réinterprétation plus moderne…
Je pense qu’on peut faire des adaptations mais ça va être la démarche inverse. Dans ce cas précis, j’ai repris Tavalizth ou Cheikh Arav Vouyezgarene, Ayemma fkiyi rekva, c’était aussi dans l’idée de dire que cette musique et ce son sont universels. Pour une chanson comme Tavalizth, qui fait partie de notre répertoire traditionnel, de notre patrimoine, avec des arrangements on peut mettre en valeur, justement, ce qui vient de ce patrimoine ancestral.
C’est toujours vous qui écrivez vos chansons et composez la musique, ou bien faites-vous appel à d’autres paroliers et compositeurs ?
Non. J’ai toujours fonctionné comme ça, j’écris mes textes et je fais la musique, et puis j’arrange tout ça…
Vous vivez entre la France, la Finlande et la Kabylie, d’où puisez-vous votre inspiration ; comment se passe le cheminement de la création ?
Ça, c’est toujours un peu mystérieux. Je ne sais pas vraiment comment ça se passe. Quand ça vient, ça vient. Evidemment, le fait d’avoir vécu autant ici fait que ce vécu local ressort à certains moments. De plus, je suis de très près de ce qui se passe ici. Mais il y a également un travail d’idées. Par exemple, trouver une idée sur comment la langue fonctionne. Dans le prochain album, il y a par exemple une chanson puisée d’un mot. D’autres fois, c’est par rapport à une idée liée à un thème.
Pour le nouvel album, vous avez fait appel à un producteur…
Je travaille actuellement avec un ingénieur du son, qui est aussi réalisateur. Un grand monsieur de la musique rock et je suis très content de ce qu’on a fait jusque-là. Il s’agit de Bob Coke, qui travaille beaucoup en France et aux Etats-Unis et qui été producteur de Noir Désir, Alain Baschung, Ben Harper avec lequel il a eu un disque d’or, etc. C’est nécessaire de prendre un ingénieur de son et un producteur car c’est une musique où le son est très important et il faut quelqu’un qui puisse apporter quelque chose par rapport au son, à la réalisation et à la production de l’album.
Vous vous êtes récemment produit au festival de Boudjima et vous avez beaucoup loué le public et l’organisation impeccable, digne d’un gala européen. Un mot là-dessus ?
Ah, oui ! C’était vraiment très bien organisé et il y avait un public et une ambiance de folie. De telles initiatives sont vraiment à saluer. C’est tout simplement extraordinaire de trouver cela dans un petit village : une grande scène digne d’un festival et tout le système qui va avec, sono lumières espace grand public. C’est super !
Avez-vous des dates et des spectacles ces jours-ci ou cet été ?
Je ne pense pas me produire en France, car je me consacre beaucoup plus à la production de mon nouvel album. «Dagui d i tmurth», ici au bled c’est plutôt ponctuel, je suis venu principalement pour reprendre contact avec la famille et les amis et pour les dates, on verra. Je suis à l’écoute et, généralement, il y a toujours quelques propositions.
Cela fait longtemps que vous ne vous êtes pas produit à Béjaïa et en Basse Kabylie. Des raisons ?
Béjaïa, c’est assez spécial. Pour le dernier concert que j’ai fait là-bas, le public doit savoir que je l’ai produit moi-même entièrement. Je pense que les gens l’ignorent, mais il est peut-être temps de le dire : j’ai produit mon concert, loué la salle et la sono, pris une équipe pour faire la communication, pour fabriquer les billets, les vendre, etc. Et cela, normalement, ce n’est pas le rôle d’un artiste de le faire. J’ai fait cela car je m’étais produit un peu partout en Kabylie et je me devais de le faire à Béjaïa.
Donc, voilà, en vérité je ne suis plus sollicité du côté de Béjaïa et quand j’essaie de prendre contact, c’est très difficile. Sinon, moi je suis disponible, j’ai un grand public là-bas qui me demande et des fois, je n’arrive même pas à lui expliquer que si je ne me produis pas là- bas, ce n’est pas faute de volonté
Djamel Alilat( Source El-watan)