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Zabor ou Les Psaumes, le nouveau roman de Kamel Daoud Ecrire contre la mort… du ciel

«Ecrire est la seule ruse efficace contre la mort. Les gens ont essayé la prière, les médicaments, la magie, les versets en boucle, mais je suis peut-être le seul à avoir trouvé la solution : écrire.»

C’est avec cette fracassante attaque que l’écrivain Kamel Daoud lance son deuxième roman, Zabor ou les psaumes, signant ainsi la rentrée littéraire pour cet auteur qui s’est fait rapidement un nom dans le paysage intellectuel avec une reconnaissance internationale. Sorti aujourd’hui aux éditions Barzakh, le nouveau texte de K. D. est un défi lancé à la fatalité, à la fin de l’histoire.

L’écriture débordante de folie, remplie du génie créateur, d’imaginaire fécond contre le sacré absolu et définitif. Le nouveau roman de l’auteur de Meursault, contre-enquête est une ode à la vie, un hymne à la joie, une invitation à la jouissance. Une déclaration contre la mort promise par les cieux. «Quand j’écris, la mort recule de quelques mètres», proclame Zabor, le personnage central du roman, dont le théâtre est l’austère village Aboukir, coincé entre un désert rampant et une misère pressante.

Orphelin d’une mère répudiée, vivant avec sa tante Hadjer, un père mourant et un demi-frère dont il est accusé de vouloir le tuer, Zabor est à l’opposé de tous les habitants du village livrés au destin funeste écrit quelque part et contre leur volonté. Il est  habité par le pouvoir de repousser la mort, de contrer la fin. Il se découvre le don magique de l’écriture en mesure de vaincre la mort, de prolonger la vie du peuple d’Aboukir.

Il est dans une permanente course contre la mort. Cesser d’écrire, c’est se rendre coupable d’un décès, d’une mort certaine, d’un membre de la communauté. Absurde ! Par l’écriture, Zabor dispute au Dieu son pouvoir. Il est le Dieu de la vie contre le Dieu de la mort. Subversif ? Une désobéissance à Dieu ? Sans nul doute. Mais n’est-ce pas la vocation d’un roman, le rôle du romancier, le sens même de la littérature ?  

Puisé dans les méthodologies anciennes, des textes sacrés et des livres saints pour en faire le substrat d’un roman qui raconte un temps «moderne» au bord du précipice. Le naufrage humain. Mais aussi pour désacraliser le message divin, le réinterpréter, le malmener, le ramener à la cruelle réalité. Déterrant les livres sacrés, dépoussiérer les contes des Mille et Une Nuits pour accoucher d’un nouveau livre à mi-chemin entre la fable et la confession. Si Shéhérazade conte pour sauver sa propre vie, Zabor est investi d’une mission d’écriture pour sauver la vie des autres. Enfermé chez lui dans une quête ou conquête solitaire pour gagner le temps, à noircir des cahiers remplis de fictions, usant d’une langue étrangère, dont seul lui connaît le secret, les contours et les règles. Une langue libératrice. Zabor ou les psaumes est une puissante croyance à la vie.

Un attachement viscéral à l’éternité. Une célébration de la liberté. Un conte passionnant Une réappropriation des livres sacrés et des contes anciens qui ont longtemps structuré puis formaté l’imaginaire du monde musulman, notamment pour en faire un acte d’émancipation, de liberté et de subversion. Le lecteur va sans doute voir dans ce roman un texte qui renvoie implicitement à la vie de l’auteur, au parcours personnel de Kamel Daoud. Car il y a manifestement de l’autobiographie.

D’abord, par l’histoire de sa famille, de ses proches, de son père qui lui a fait découvrir l’amour des livres. Mais également sa propre histoire, brusquement propulsée au-devant de la scène littéraire mondiale, avec ce que cela procure comme jouissance personnelle liée au succès qui permet de s’adresser à un lectorat aussi large que divers. Il parle aux sociétés d’aujourd’hui malgré les différences linguistiques, culturelles, historiques et confessionnelles.

Mais aussi avec son lot d’accusations, de soupçons et d’attaques violentes. Meursault contre-enquête a déclenché un concert de louanges, mais aussi un violent torrent d’accusations, à la traîtrise d’être à la solde «d’ennemis qui complotent contre nous», «un vendu». Parvenue tout simplement, la reconnaissance est venue d’ailleurs. Nul n’est prophète en son pays, mais personne n’est maître chez les autres. Coincé entre la célébration des uns et la guillotine des autres, Kamel Daoud, sans rien demander à personne, cherche simplement à choisir librement son existence. Sans prendre le droit à personne, il s’acharne à vivre sa propre vie. A tracer son propre sillon. Contrairement à ses ancêtres, il veut laisser des traces.

Poser des mots sur les maux qui bloquent nos sociétés, qui enferment les peuples dans des frontières hostiles les unes envers les autres. Il ne veut surtout rien céder sur sa liberté, dès lors qu’elle n’empiète pas sur celle des autres. Kamel Daoud, dans ses chroniques comme dans ses romans, ne se laisse pas imposer à lui une vie, une histoire, une culture, une religion importées d’ailleurs.

Et c’est pour cette raison qu’il est un écrivain qui dérange, un chroniqueur qui secoue des certitudes définitives. Son second roman, Zabor  ou les psaumes, est une nouvelle liberté conquise, une mobilisation qui repousse les frontières de l’interdit, un acte d’insoumission contre les codes sociaux, religieux en vigueur. Certains diront «li men taqra zabourek ya Daoud ?» (à qui raconte-tu tes histoires David ?).

D’abord pour lui-même, pour exercer son droit à la liberté que lui procure l’écriture. Puis à ceux qui aiment la littérature, nécessaire à nourrir le cerveau pour mieux le fertiliser. Et, enfin, pour ceux qui aiment ou n’aiment pas les textes de Kamel Daoud. A la fois, pour les partisans comme pour les adversaires. Car le nouveau Zabor de Daoud, superbement bien écrit, ne manquera pas de susciter des débats, de raviver les polémiques, de renforcer les clivages dans les milieux intellectuels et politiques. Daoud est désormais un écrivain qui divise parce qu’il sort des sentiers battus d’une littérature nationalo-conformiste.

Et c’est tant mieux. Il est un auteur à contre-courant. Une renaissance de la littérature. Si le premier mot de la révélation prononcé était d’«intimer» l’ordre de lire, les écrivains s’imposent volontairement l’ordre d’écrire. Ecrire et décrire la condition humaine, penser sa société parfois contre elle-même, parce que c’est la vocation de la littérature. Elle n’a pas à encenser, mais à scruter vigoureusement, à lever le voile sur ses territoires sombres pour mieux éclairer, à bousculer les codes et les ordres. A cet exercice, Kamel Daoud s’applique merveilleusement bien. Daoud, nombreux ceux qui liront ton Zabor....

Hacen Ouali ( Source El-watan)

Tag(s) : #CULTURE
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