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Mohammed Dib, l’a si bien dit dans son roman L’Arbre à dire : «Je suis un visuel, un grand œil ouvert» ; le grand écrivain André Malraux, qui lui a prédit un avenir radieux dans la galaxie romanesque, dit à cet effet : «De tous les écrivains africains, Mohammed Dib il est celui qui risque de nous toucher le plus.»

Louis Aragon, de son côté, a rappelé que «Mohammed Dib est l’un de ces écrivains qui ont su à partir de leur identité nationale s’élever vers une certaine idée de l’universalité».

Louis Aragon, qui à lui seul est une institution, a ajouté en préfaçant le recueil de poésie Ombres gardiennes qu’il s’est réjoui de la naissance de la poésie algérienne, un genre littéraire porté par Mohammed Dib : «J’imagine Mohammed Dib d’après moi, comment autrement m’y prendre ?

Puisque de mes yeux français saisir la naissance de la poésie algérienne ? Le roman, toujours le roman, la nouvelle, c’est comme une invitation, un voyage : j’entre avec l’auteur dans une Algérie inconnue. Mais le poème ?

Nécessairement allusif, chargé d’un potentiel étranger, de tout ce que l’économie des mots suppose d’une réalité que le poète partage avec d’autres que moi». Mohammed Dib a rendu hommage à Louis Aragon dans un si beau poème baptisé Chemin :

«1 Futur qui songe

Dans la gorge des vents le chant à cette patience

Quand l’arbre dresse une sourde alerte

Entre les mouvements du jour

Aujourd’hui Mohamemd Dib, ce grand auteur reste le plus contemporain des écrivains algériens. Il n’a pas bénéficié de tout l’intérêt des cinéastes et des réalisateurs, encore moins des essayistes et les spécialistes en littérature.

Hormis le feuilleton L’Incendie (El Hariq) de Mustapha Badii qui a réussi une adaptation libre d’un des fleurons de la trilogie Algérie ou du documentaire de Kerroum, aucune initiative, hormis un travail de Naget Khadda qui a étudié l’auteur en détail. Très peu de chercheurs ont ainsi abordé les autres facettes de la vie et l’œuvre de Dib.

Il est vrai que le profil discret et peu médiatique de Mohammed Dib n’a pas favorisé l’avènement de tout un éventail de projets cinématographiques et littéraires autour de Dib.

Cela dit, il incombe à la grande communauté des réalisateurs et des linguistes de contourner cette contrainte et trouver ainsi dans tous les matériaux dibiens la matière à fabriquer des œuvres cinématographiques et littéraires.

Le public algérien a toujours manifesté un rapport nostalgique aux œuvres de la trilogie algérienne, cela a été provoqué tout d’abord par le feuilleton de Mustapha Badii et aussi à travers les lectures choisies de l’enseignement normalien des années 70′.

Notre mission aujourd’hui est d’assurer cette jonction entre plusieurs vies littéraires de l’auteur Mohammed Dib et de rehausser ce regard nostalgique passéiste pour passer à une vraie compréhension de la littérature de Dib. C’est une manière de réparer une injustice pour redonner à l’auteur de Talisman son statut de grand écrivain contemporain du Maghreb.

Un romancier qui a d’abord réussi tout au long d’une riche et prolifique carrière à assumer son temps par un style réaliste et romantique, pour passer par la suite aux questionnements philosophiques sur un fond résolument poétique.

16 ans après le décès de l’écrivain Mohammed Dib, la mission d’exploiter les archives de l’auteur conservées à la Bibliothèque nationale de France, bien sûr en coordination avec Mme Colette Dib et ses filles, me paraît d’une importance capitale pour réussir une œuvre sur le parcours littéraire de Dib.

Le parcours de Dib est en quelque sorte un hommage à toutes ces Algériennes et tous ces Algériens qui ont réussi à transcender tant de frustrations, de difficultés et de marginalisations pour aller vers l’essentiel, vers les valeurs sûres, les valeurs humaines.

L’exil intérieur adopté par l’auteur comme thématique majeure dans les œuvres de Dib a été abordé dans le sens de la gestation d’une forte déchirure humaine et aussi constitue l’illustration d’un profond malaise de la condition des hommes et des femmes.

Cette errance et cet exil décrits par l’auteur de L’Infante maure comme une fenêtre pour retrouver soi, retrouver son identité. Les références aux savants soufis El Attar, Er-Rûmi et Ibn Arabi allègent cette contrainte et opèrent une adhésion à une voie et à une identité sublimées.

Ce qui est constant dans l’écriture de Dib, c’est cette prévalence des valeurs poétiques, des allégories pertinentes, et des symboliques ancrées sur des thématiques actuelles. Relire l’écrivain avec des lunettes contemporaines nous permettra d’aller sur les traces de Mohammed Dib jusqu’en Finlande.

Ce sera un travail qui nous aidera à comprendre l’influence de la culture finnoise dans l’écriture romanesque de Mohammed Dib. La trilogie nordique ou les trois romans écrits en terre finnoise Les terrasses d’Orsol paru en 1985, Le sommeil d’Eve et Neiges de Marbre édité en 1990, sont autant d’œuvres où l’on décèlera des symboles de la mémoire collective des Finlandais comme par exemple le kotikuusi ou le sapin ou le Kotikoivo, le bouleau deux arbres totémiques de la Finlande.

Des symboles honorés par Dib dans son roman Le sommeil d’Eve dans lequel il affirme : «et rêver de l’été, c’est penser au bouleau.». Cette introspection sera aussi un hymne à la lumière ou Valo dans la langue finnoise.

Cette quête permanente de la lumière est aussi celle que dégage la grande sensibilité du personnage de l’enfant Lyyl Belle dans le roman Neige de Marbre : «Alors perdant patience, elle hurla le mot toujours le même plus fort encore plus forts Valo ! Valo! Valo !»

Une lumière que Mohammed Dib a retrouvée dans cette Suomi généreuse, une terre où cette voie initiatique se confond à l’ardente spiritualités des grands soufis du XIIe siècle, comme celle de Djallal u’ddin Errumi. Le style dibien opère une parfaite symbiose entre la pureté de la neige et l’envoûtant sable saharien.

Le roman Neige de Marbre dépeint d’abord le vécu d’un couple séparé, Faina et Solh, et explore intimement le rapport de la petite Lyyl Belle avec son père. La neige traduit en quelque sorte cette distance géographique et culturelle qui intensifie la peine de la séparation et de l’exil intérieur, une thématique structurante dans toute la trilogie nordique.

Nous introduisons ici un passage du roman Neige de Marbre : «Le facteur apporte chaque jour des lettres sauf celle qu’on espère, la neige elle-même donne l’impression de n’être pas loin.

Elle n’a jamais quitté tout à fait l’air, toujours présent comme certains qu’on croit avoir oublié pendant qu’on passe à autre chose. Subtil comme ce parfum de neige, un jour le temps trouvera la tête et montrera sa face blanche, face de neige à l’inaltérable suite blancheur, toute la neige toute l’étendue».

La trilogie nordique

Les titres des romans de la trilogie nous renvoient aussi à cette recherche de la lumière, le titre Orsol qui est composé de or et de sol, ce qui veut aussi dire l’éclat d’un extra-muros ensoleillé.

Force est de constater que la fusion entre la neige et le sable revient souvent dans les romans de Dib comme dans L’infante maure, la petite Lyyl Belle aux capacités cognitives et intuitives très développées sort du cadre réaliste et se meut dans des procédés narratifs aux accents psychologiques et poétiques très esthétiques.

La tendance de Dib à dénuder ces textes de toutes fioritures, d’artifices, et autres pastiches est une constante qui répond à une noble démarche dibienne dans son rapport à la littérature. Cette responsabilité de respect du lecteur est confiée à son personnage Lyll Belle, les dialogues du papa et de Lyll Belle sont dépouillés.

L’énoncé est agrémentée d’une esthétique épurée, nous citons l’exemple de la page «7», qui dit en substance ceci : «Papa, quand il me parle de cette façon, je prends sa main et je la mets contre ma joue. Le contact est dur et doux. Je sens la chaleur de sa peau, la chaleur de ce désert mais aussi la fraîcheur de main qui est celle de nos neiges».

Un autre aspect que nous tenterons de valoriser est cette influence des poèmes finnois le Kalevala qui est le corpus de toute la tradition orale de la Finlande qui dans l’œuvre de Dib, La fiancée du loup en est la parfaite illustration.

Mohammed Dib qui était aussi un auteur de contes maghrébins comme Baba Ferkane et  L’Histoire du chat qui boude opère un véritable mariage entre l’imaginaire magique de l’Afrique du Nord et celui évoqué par les poètes bardes finnois immortalisé par l’auteur de Kalevala, Elias Lonnrot.

Cette démarche prendra fin par des mots fraternels, fruit du génie dibien vénérant la ville d’Helsinki dans le roman les Terrasses d’Orsol, il affirme : «La ville qui me procure un sentiment de reconnaissance si extrême que j’en suis parfois effrayé reste néanmoins taillée dans la plus solide et la plus accueillante des réalités. Je vais en donner des exemples qui ne sont pas des arguments dictés par l’attachement dont je me suis pris pour elle. Ainsi la bienveillance.

Elle est générale, elle s’allie en plus à un air de gravité de bon aloi chez le plus modeste des habitants. Cela touche en vous une certaine fibre. Une certaine fibre, j’ai déjà remarqué à mon arrivée comment chacun aime ici faciliter la vie à autrui.»

Ce travail se veut comme un réel voyage dans un monde naïf et innocent de Dib, mais aussi une démarche pernicieuse pour dévoiler également toutes les influences littéraires esthétiques et philosophiques de l’écrivain universel.

Un écrivain qui a toujours refusé d’être catalogué dans les appartenances chauvines. Nous allons essayer de montrer par contre comment le romancier a su opérer à travers ses œuvres un voyage dans les différents imaginaires et mythologies locaux.

La valeur morale et esthétique est la même partout. La fiancée du loup édité en 1990 «Calla» a eu aussi son équivalence dans notre patrimoine oral comme étant «Loundja» et aussi entre autres l’arc-en-ciel appelé communément les «noces du loup» ou «aârs eddib», et c’est là où l’on découvre l’enracinement des œuvres de Mohamed Dib dans le terreau local et ensuite son rayonnement dans l’ universel.

Le monde magique de l’enfance rattrape le père du roman algérien contemporain, son nom Dib en arabe qui veut dire loup a été convoqué à plusieurs reprises pour nourrir l’imaginaire et restructurer la trame romanesque. L’œuvre de Dib reconstitue les lambeaux de plusieurs genres dont le récit, la nouvelle, le conte et l’essai et c’est dans le roman Le sommeil d’Eve que l’auteur redonne au référent culturel finnois toute son importance.

Son clin d’œil au conte populaire nordique La fiancée du loup qui raconte l’histoire d’une femme dans le fin fond de Suomi (l’autre nom de la Finlande) abandonne sa maison, son mari et ses enfants pour aller rejoindre le loup. Un animal que l’on retrouve déjà dans ses premières amours littéraires, la poésie, où il accorde à la louve un intérêt particulier dans le recueil de poésie formulaires :

«Ce songe de vérité peut-être

Son aurore aux mains de louve»

Ce fort attrait pour le personnage du loup ou pour la symbolique du loup est actualisé aussi dans le roman L’Infante maure où le loup constitue tout le capital symbolique représenté qui est abordé notamment dans la page 21 en ces termes : «Je la regarde aussi, puis je ne regarde que lui, un loup dont l’œil dégage une lumière de velours et de reconnaissance, on n’a pas besoin de chercher le bonheur, il est la a portée de dents».

Y A M ( Source El-Watan)

Tag(s) : #CULTURE
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