Ils sont venus de nuit et ils l’ont emmenée lui et Hend Sadi à la cité universitaire. Là, ce fut l’un des plus beaux galas que j’aie vu de toute ma vie. Ils étaient des milliers à l’applaudir. Ça lui a fait chaud au cœur."
La marginalisation, le racisme et le régionalisme dont ont souffert les artistes et les intellectuels Kabyles sont l’un des facteurs qui les a stimulé autrefois à s’unir et à se solidariser. Une solidarité qui a volé en éclat malheureusement ces dernières années.C’est au moment où le peuple a plus que jamais besoin de tous ses intellectuels, artistes, politiciens, sportifs et autres… que des manquements sont enregistrés dans notre société qui faisait des siècles durant de la solidarité une religion.
L’anecdote d’Abderrahmane Bouguermouh, premier réalisateur du long métrage en langue Kabyle, le film« La colline oublié » est émouvante. Ce fait illustre à lui seul la détresse et le mépris vécu par nos artistes mais ils sont restés toujours dignes. Le regretté Bouguermouh avait rédigé de son vivant ce petit texte pour relater avec émotion une histoire qu’il a vécu de son vivant. Un injustice qu’une artiste Kabyle avait subi durant les années 1970 par les dirigeants racistes du clan de Oujda. « En plus d’avoir été interdite de chant au Festival panafricain, vous voulez dire qu’elle était interdite de sortie de l’hôtel ? », commença à écrire son histoire Bouguermouh. Et d’enchaîner : « elle était séquestrée et gardée par la police. Je l’ai faite sortir et je l’ai emmenée dans ma petite R4.
Des Kabyles de Sidi Aïch qui travaillaient à l’hôtel m’avaient aidé à la faire sortir par la porte de derrière. On est allés à Beni Douala, aux Ouadhias Iwaḍiyen , à Fort National, puis à Ighil Ali où pratiquement personne ne l’avait reconnue. Elle voulait voir sa maison, mais il y avait quelqu’un qui l’avait squattée. De là, on est repartis par le col de Tirourda et quand on est arrivés au col elle m’a demandé de m’arrêter. Elle est descendue de voiture et s’est mise à chanter. Au départ, elle avait la gorge nouée, puis peu à peu ça s’est desserré. Elle chantait à en faire trembler le Djurdjura et elle pleurait. C’était très, très émouvant. De retour à Alger, j’ai appelé Benmohamed (Ndlr, le poète) pour lui dire qu’Ahmed Taleb El Ibrahimi, à l’époque ministre de la Culture ou de l’Information avait séquestré Taos Amrouche à l’hôtel. Ils sont venus de nuit et ils l’ont emmenée lui et Hend Sadi à la cité universitaire.
Là, ce fut l’un des plus beaux galas que j’aie vu de toute ma vie. Ils étaient des milliers à l’applaudir. Ça lui a fait chaud au cœur ». Oui ça fait chaud au cœur. On ne peut jamais oublier une telle injustice. Elle marquera à jamais les esprits.
Le même régime, les mêmes responsables sont toujours en place. La même politique est utilisée envers tous les Kabyles……Aujourd’hui encore, des chansons de Matoub sont interdites à la radio de Tizi Wezzu !
Youva Ifarwen