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Voilà 54 ans, Mouloud Feraoun fut assassiné La disparition d’un homme lumière

Il ne restait que quatre jours pour l’instauration du cessez-le-feu, moins d’une semaine avant que les armes ne se taisent définitivement en Algérie.

Ce jour du 15 mars 1962, le funeste commando Delta de l’OAS, de sinistre mémoire, s’introduit dans une salle à Château Royal où étaient réunis six inspecteurs, parmi eux Mouloud Feraoun. Le commando invite les inspecteurs à sortir, les aligne, et leur tire dessus une rafale de mitraillette. Ainsi tomba Mouloud Feraoun et ses compagnons d’infortune. Il était né le 8 mars 1913 à Tizi Hibel. Élève de l'école normale de Bouzareah (Alger), il travaille durant plusieurs années comme instituteur, puis directeur d'école et de cours complémentaire, avant d'être nommé inspecteur des centres sociaux. Feraoun commence à écrire en 1934 son premier roman, Le fils du pauvre. L'ouvrage, salué par la critique obtient le Grand prix de la ville d'Alger. En 1928, il est boursier à l'école primaire supérieure de Tizi-Ouzou. En 1932, il est reçu au concours d'entrée de l'école normale de Bouzaréah Alger (actuelle École normale supérieure de lettres et sciences humaines). Il y fait la connaissance d'Emmanuel Roblès. En 1935, il est nommé instituteur à Tizi-Hibel où il épouse sa cousine Dehbia dont il aura 7 enfants. En 1946, il est muté à Taourirt-Moussa. En 1952, il est nommé directeur du cours complémentaire de Fort-National. En 1957, nommé directeur de l'école Nador de Clos-Salembier, il quitte la Kabylie pour les hauteurs d'Alger. «Voilà, c’est la guerre et c’est affreux. Mais il n’y a rien d’autre à dire... Rien à dire parce qu’un mort ne peut plus parler et qu’un vivant craint de mourir s’il parle tout en sachant fort bien qu’un jour ou l’autre il mourra à son tour puisqu’on est décidé à tous nous tuer tant que nous persisterons à vouloir l’indépendance et que malheureusement cette idée d’indépendance est devenue pour tous la seule raison de vivre. Nous avons peut-être tort d’avoir laissé s’incruster en nous cette idée folle mais il n’est plus question de l’en arracher. Le cœur où elle a pris racine viendrait avec elle ; alors autant nous tuer tout de suite» (journal Page 236 10 Juin 1957. Certainement par préscience, lui l’instituteur de campagne, lui l’écrivain enraciné dans sa terre natale et pourtant irradiant l’univers des senteurs exquises de sa Kabylie. Tahar Djaout, dans l’Arche à vau-l’eau, lui rendit un hommage à travers un poème «(…) Je pense à Feraoun/ sourire figé dans la circoncision du soleil / Ils ont peur de la vérité / Ils ont peur des plumes intègres / Ils ont peur des hommes humains : et toi Mouloud, tu persistais à parler / de champs de blé pour les fils du pauvre / à parler de pulvériser tous les barbelés / Qui lacéraient nos horizons / On dit de toi Mouloud que tu étai trop bon/ Que tu te révoltais / d’entendre des obus saluer chaque aurore / que tu croyais les hommes nés pour fraterniser / Que récusant toutes les orgies d’horreur / tu étais pourtant incapable de haine». «Ce poème exprime cette double relation contradictoire d’implication et de distance de l’auteur par rapport aux deux forces en présence pendant la guerre», écrit Christiane Achour dans la présentation de la re publication du «Journal» de Mouloud Feraoun en 2009 aux éditions ENAG. Samy Abtroun dans «Lettre au grand-père» écrit pour sa part : «Tir ajusté sur le cœur et la feuille tombe / L’encre rouge coule sur le bras / Le vent s’effrite / La lumière file/(…) Lecteur, lis l’amour fleuri en peine sur les désastres d’une guerre en crève / que le Journal a dessinée un œil rivé sur l’accalmie / Grand-père / Tué : OAS». Il fut un pédagogue racé et un écrivain à la plume d’une limpidité déconcertante. Il n’aime pas les circonvolutions langagières, les métaphores, l’allégorie, les sous-entendus. Homme simple écrivant simple. Ami d’Albert Camus avec lequel, le lient des échanges épistolaires qui ont fait date. Emanuel Roblès, camarade de classe à l’école normale de Bouzareah et non moins compagnon de route de Mouloud Feraoun, dans une correspondance adressée à Camus, disait : «… à mon tour d’expliquer les Kabyles et montrer qu’ils ressemblent à tout le monde, à tous les Algériens par exemple». Il avait traduit les poèmes de Si Mohand ou Mhand, il l’avait fait, des décennies après Boulifa et il y apporta un air de fraîcheur. Le fils du pauvre son premier roman autobiographique dans lequel Menrad Fouroulou est l’anagramme de Mouloud Feraoun, La terre et le sang, Les chemins qui montent, Jours de Kabylie, l’anniversaire et enfin Le Journal édité post-mortem à travers tous ses écrits, Mouloud Ath Chaâvane de son nom kabyle a tout le temps eu le reflexe du pédagogue. Même lorsqu’il décrivait la guerre, la misère des siens, de son peuple ; il prenait des distances pas sémantiques mais éthiques sans se compromettre avec les Français. Il se savait condamné, il se savait élu au sacrifice suprême par les nombreuses lettres de menace de l’OAS qu’il recevait régulièrement. Mais il continuait à travailler sans montrer sa peur. Ce jour est arrivé le 15 mars 1962, voilà 54 ans jour pour jour.

Sadek A.H (source: la depeche de kabylie)

Tag(s) : #Culture
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