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 Mouloud Zedek à Liberté “La chanson à texte tend à disparaître”

Il est sans doute l’artiste kabyle le plus adulé par le public ces dernières années. Mouloud Zedek est un vrai phénomène qui bouleverse continuellement la chanson kabyle. En Kabylie, sa voix retentit à chaque coin de rue. Dans les magasins, dans les voitures, dans les bus et fourgons de transport de voyageurs. Ses poèmes font l’objet d’études universitaires.
La neuvième étude sur l’œuvre poétique de Zedek est en préparation à l’université Abderrahmane-Mira de Béjaïa par des étudiants du département de langue et culture amazighes. Dans cet entretien, le barde évoque son absence et ses raisons, ses soucis avec l’Onda, la chanson kabyle, sa propre chanson et tant d’autres sujets sur lesquels l’artiste se livre à cœur ouvert.

Liberté : Pourquoi cette absence de la scène locale ?
Mouloud Zedek : Je dois préciser que pour moi, il n’y a pas d’absence. Je suis en contact permanent avec le public. J’ai fait pas mal de spectacles tout récemment, donc, je ne me suis jamais senti loin de mon public. Sauf que pour l’album, c’est tout à fait vrai ce que vous dites, car j’ai pris mon temps et je souhaite que mon double album sera sur le marché d’ici la fin de l’année.

Quand on dit absence, cela veut dire aussi que vous étiez absent des spectacles ici en Algérie et c’est ce que le public a remarqué ?
Oui effectivement. Je suis absent des spectacles ici, pour diverses raisons. Vous voyez aussi bien que nous la situation générale du pays qui n’est pas du tout reluisante. À cet état de fait malheureusement, s’est greffé un autre fait qui n’est pas des moindres. Il s’agit du monopole de la culture par l’État. C’est l’État qui fait la pluie et le beau temps. C’est lui qui organise les festivals, les spectacles et gère les salles également. Et dans ce cas de figure, vous savez à qui ils font appel. En ce qui me concerne, personne ne m’a jamais sollicité pour un quelconque spectacle.

On peut déduire que vous êtes victime d’une censure officielle dans ce cas ?
Il m’est difficile de dire que je suis effectivement victime d’une censure officielle, car elle n’est jamais officielle.

Vous êtes absent aux spectacles, dans les radios et télévisions officielles, cela aussi c’est de la censure, non ?
Absolument, c’est cela exactement, mais je dirai également que des fois, ce n’est pas le résultat d’une décision officielle, mais c’est une réaction de personnes. Me concernant, je me suis engagé pour ma langue et ma culture, donc défendre cette cause est indissociable de mon travail artistique. Et peut-être également que mes idées dérangent, sinon je suis un artiste comme tous les autres, et un artiste a besoin de travailler, de rencontrer son public et de se produire. Tous les artistes veulent travailler, surtout quand on vit de cela.

Comment ressentez-vous cela ? Il y a sans doute une forme de frustration…
Je reconnais qu’il y a de la frustration, mais que je cache, à vrai dire. Je ne vais surtout pas le chanter sur tous les toits. Mais un artiste ressent plus que les autres. Je ne vais pas me mentir, en tant qu’artiste, cela est blessant, mais en tant que militant, je me suis toujours dit que c’est peut-être le prix à payer, d’autant plus que j’en ai l’habitude. Un militant peut accepter certaines choses tout en militant pour les changer.

Nous avons aussi appris que l’Onda serait également de la partie…
Oui, absolument ! Sauf que l’affaire de l’Onda est un peu particulière. J’ai pas moins de 10 albums qui sont exploités illégalement et sans contrat. Ces albums sont actuellement sur le marché. J’ai sollicité l’Onda par un écrit officiel pour qu’ils m’informent qui sont les albums qui sont sous contrat et les autres que je pourrai, le cas échéant, récupérer, mais je n’ai pas de réponse à ce jour de la part de l’Onda. Depuis 2015, tous mes droits sont bloqués, sous prétexte qu’une personne s’est présentée chez eux en tant qu’arrangeur. Or, tous mes arrangements sont un travail de toute une équipe. Je ne comprends pas comment un organisme officiel prend pour argent comptant ce qu’on lui raconte sans prendre le soin d’écouter les parties concernées. Je pense qu’avec cette manière de faire les choses, n’importe quelle personne peut se présenter à l’Onda et dire que telle ou telle œuvre lui appartient et c’est réglé pour lui. J’ai engagé un avocat pour défendre mon cas contre ces pratiques.

Absent des spectacles, difficultés avec l’Onda, comment vous rencontrez votre public ?
Je rencontre mon public grâce à quelques organisateurs privés avec lesquels j’essaie de produire. Sinon tous les spectacles ont eu lieu à l’étranger.

Avez-vous trouvé des difficultés à travailler avec les privés ?
Oui. Lors du gala de juillet passé à Boudjima, on a eu droit à des coupures d’électricité quelques instants avant le début du spectacle. L’organisateur du spectacle a été aussi convoqué par les autorités.

C’est une forme d’intimidation, selon vous ?
Je ne sais comment qualifier ces agissements, mais je sais par contre que si on baisse les bras devant cela, on ne fera rien du tout.

Quelle est selon vous la situation de la chanson kabyle ?
Le constat, aujourd’hui, peut être fait par tout le monde. La chanson kabyle manque cruellement de chanteurs à texte. Je ne sais pourquoi. Est-ce que tout le monde est tombé dans la facilité ? Est-ce que ce genre de chanson ne fait plus vivre l’artiste comme nous avions vécu avec ? Beaucoup d’interrogations taraudent les esprits en effet. Je reconnais que la chanson à texte tend à disparaître.

Pourquoi apportez-vous souvent un regard plutôt contraire de celui d’autres artistes sur des sujets récurrents, comme la politique et le social ?
Effectivement. C’est un choix personnel, car certaines chansons sont destinées à un public mûr et d’autres aux jeunes et moins jeunes. Avant, je pensais que le style de “Taqvaylit nni” n’était pas le mien, mais je me suis dit que c’est un moyen de faire passer un message bien défini.

Vos fans ont remarqué que le printemps noir revient souvent dans vos chansons, pourquoi ?
En 2001, l’État a ignoré notre souffrance, il a fait la sourde oreille face à notre cri de détresse et a opté pour le pourrissement en Kabylie. Il a préféré la honte à l’honneur. Comme avait dit Churchill : vous avez choisi la honte pour éviter la guerre, vous avez eu la honte et la guerre. 128 jeunes furent assassinés, plus de 5000 blessés, des années d’angoisse à ce jour, aucun responsable n’est traduit en justice. Aucune excuse aux familles des victimes et à la région.

Tamazight est langue officielle depuis quelques années, mais la polémique actuelle tourne autour de la graphie. Quel est votre commentaire ?
J’avoue que cette décision ne m’a pas emballé. Et pour cause, il y a un manque de sincérité de la part de ses promoteurs. Tamazight a besoin d’une vraie reconnaissance. Quant à la graphie, c’est d’abord l’affaire de spécialistes. Sauf que, et on doit l’admettre, beaucoup a été fait en caractère latin. Est-il possible d’ignorer tout ce qu’a été fait depuis plus d’un siècle ? Tamazight va-t-elle se suffire de ce qu’on va lui donner pour opter pour une autre forme d’écriture ? Je pense que c’est exactement ici que se situe le manque de sincérité du régime.

Par Mohamed Mouloudj (Source liberté)

 

Tag(s) : #CULTURE
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