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Tidyanin l’album événement de Ali Amran : Une œuvre majeure

C’est le 5e album, et certainement le plus abouti de cet artiste né en 1969 à Igariden, petit village sur les contreforts du Djurdjura. Installé aujourd’hui à Helsinki, en Finlande, Ali est en perpétuelle vadrouille entre son pays d’adoption, la France, où il a ses attaches, et l’Algérie de ses racines.

Pour l’avoir écouté en exclusivité pour les lecteurs d’El Watan, le moins que l’on puisse dire est qu’il répond parfaitement aux attentes et aux espoirs de ses nombreux fans, étant donné que Ali Amran est le nom qui incarne le mieux le renouveau de cette chanson kabyle qui peine quelque peu à retrouver un second souffle. Onze titres finement ciselés, où l’on retrouve sa touche personnelle : un timbre de voix qui allie puissance et douceur, des mélodies racées qui viennent du fond des âges, pour éveiller la voix des ancêtres qui sommeille en vous, et un travail d’orfèvre et de perfectionniste sur les arrangements et les harmonies musicales.
Les équilibres précaires

Ce que Ali Amran propose dans ce nouvel album de 11 titres intitulé Tidyanin (Les questionnements ou les péripéties) est en fait un véritable voyage initiatique avec de nouvelles harmonies et mélodies. La thématique de l’album semble tourner autour des «équilibres précaires» incarnés par le titre Lxid, (le funambule, ou l’équilibriste qui marche sur un fil) dans lequel le poète dit : «Am win it eddun fel xid, yu3ar webrid i tikli, ur yeli win ighir ara ttekidh, sya w sya d el xali», «tel un funambule, dure est la traversée, c’est le vide de toutes parts, rien sur quoi t’appuyer». «Musicalement Lxid est un 5/4, un rythme qui n’est pas carré.

C’est un entre-deux», explique Ali. Le titre symbolise on ne peut mieux ce passage de la tradition vers la modernité, du local vers l’universel qui sous-tend toute la démarche de l’artiste. Si le thème est axé sur les équilibres précaires, Ali Amran, lui, semble avoir définitivement trouvé sa voie et son équilibre. «Je pense que cet album est l’aboutissement de toute ma démarche musicale que j’ai entamée depuis mes débuts dans les années 90», dit-il de prime abord.

Le son, enjeu majeur dans tout album qui se respecte, est excellent. Voire exceptionnel. Du gros son du niveau de ce que font les plus grands noms de la pop-rock mondiale. Et pour cause, c’est l’ingénieur de son et producteur américain de renom, Bob Coke, qui a été aux commandes derrière les machines et assuré la réalisation.

Cette grosse pointure du rock qui s’est installé en France a travaillé avec beaucoup d’artistes internationaux de la trempe d’Alain Bashung, Noir Désir, Calogero, Ben Harper et Jeff Beck dernièrement. «Bob a fait les prises de son, mais la réalisation de l’album nous l’avons faite ensemble», dit Ali.

Un son plus naturel

En termes de production, la démarche a été cette fois-ci différente des deux derniers albums réalisés avec Chris Birkett et que l’on peut considérer comme des «albums studio», au sens standard explique encore Ali. «Cette fois-ci on a enregistré la base en live avec : Fabien Mornet à la guitare, Franck Mantegari à la batterie et Daniel Largent à la basse», dit-il. L’harmonie entre des musiciens qui ont l’habitude de jouer ensemble et le fait que la prise soit faite alors qu’ils jouent ensemble fait toute la différence.

Au final, cela donne un son plus naturel et plus harmonieux. Le chanteur prend le temps d’expliquer la démarche qui a été la sienne depuis ses débuts : «Quand j’ai commencé ma carrière, j’avais dans l’idée de faire du pop-rock en kabyle, c’est-à-dire de la chanson kabyle avec du son rock, mais pour obtenir ce son il faut tout un travail de mise en place.

Pour cet album, je pense que j’ai pris le temps de faire vraiment la musique comme je l’entends personnellement afin de faire aboutir ma démarche. En fait, l’enjeu est comment faire sonner la musique kabyle rock ou pop rock ? Et pour arriver à ça il y a beaucoup de travail à faire.» Ali Amran dit être passé de la musique et des rythmes kabyles traditionnels directement au rock sans vraiment passer par la musique kabyle moderne des années 1970.

«C’est un autre univers. La musique traditionnelle nord-africaine est sur des bases complètement différentes de la musique occidentale. Nous sommes dans une esthétique orientale, c’est-à-dire qu’on a la percussion qui tient le rythme et on chante sur la percussion et tout le reste, c’est de l’unisson. Donc, pour passer de cette esthétique-là vers l’occidental, il faut tout un travail de restructuration. Au final, il s’agit de prendre un rythme traditionnel auquel il faut trouver une adaptation par rapport à la logique de la musique occidentale. Donc, j’ai abordé pas mal de rythmes typés avec des arrangements nouveaux pour trouver une façon d’interpréter cela c’est un travail énorme», dit-il en un effort pédagogique pour donner les clés de sa démarche.

Passé et présent, tradition et modernité

Justement, l’album comporte un hommage à Matoub sur un air hawzi, qui, dans la logique traditionnelle est assis sur un rythme binaire de 4 temps. Il n’y a pas d’harmonie verticale dans notre tradition à nous, explique Ali Amran, et il ne suffit pas de prendre un instrument comme la guitare et de la mettre dessus. «Il faut déconstruire, donc extraire la mélodie et voir comment articuler ça avec la logique de la musique occidentale. Et sur un morceau assis sur un rythme binaire de 4/4 on se retrouve sur un rythme de 6/8 ou de 12/8.

Et c’est là que ça t’ouvre des perspectives en termes d’harmonie. C’est-à-dire trouver des accords intéressants qui vont enrichir et porter la mélodie au lieu qu’ils viennent juste se poser dessus pour être portés par celle-ci, confie-t-il. L’avantage est que cela permet à des gens qui sont éduqués dans la culture de cette musique occidentale d’avoir accès à ce qu’on fait nous. Ils comprennent la logique.»

Au final, la thématique des équilibres précaires d’un pays ou d’une communauté tiraillés entre passé et présent, tradition et modernité, traverse l’essentiel de l’album avant de se retrouver dans le dernier titre en français offert en bonus, Celui que tu penses. «L’idée de l’émigration, qui est aussi un équilibre précaire, un coup tu es ici et un coup tu es là bas», explique Ali, qui tente dans cette chanson de déconstruire le cliché dans lequel on enferme celui qui vient d’ailleurs. «C’est une manière de dire arrêtez de mettre les gens dans des cases. Nous sommes ce que nous sommes, avec toutes nos richesses et nos diversités.

Nous avons aussi des choses à proposer au même titre que vous», dit-il. Quant à la chanson Tlatin (La trentaine), elle évoque ce cap de la trentaine, cet entre-deux âges précaire, entre l’insouciance de la jeunesse et la maturité, entre projets et rêves brisés. Dans la chanson Tidyanin, le poète dit : «Anda tent tigeldiwin n zik, leqsur imnayen, assamar amalu, ur turid ara tidyanin ik, tzerr3ed awalen, yettadam wadu» (Où sont les royaumes d’antan, les palais et les cavaliers partout, tu n’as pas écrit tes événements, autant de paroles qu’emportait le vent, tu semais et autant en emportait le vent).

Tidyanin raconte la longue marche de l’homme amazigh qui sort de préhistoire, dompte la nature, défriche les forêts, construit les cités et les civilisations, affronte ses ennemis et les siècles avec sa légendaire «taghenant», mais oublie d’écrire son histoire, laissant ce soin à ses ennemis. «Tu n’as rien écrit. Tu as semé et le vent a emporté», chante Ali Amran.

L’artiste-intellectuel impliqué dans la marche de son peuple enchaîne ainsi : «Nous les Berbères, nous venons de la nuit des temps, nous avons fait le chemin jusqu’à aujourd’hui et nous sommes encore là, mais pour combien de temps encore ? Ce passage à l’écriture est quand même très important pour pouvoir aborder l’avenir. Les paroles s’envolent mais les écrits restent. L’oralité avec laquelle on a pu tenir jusqu’à aujourd’hui ne peut plus tenir.»

Un album voyage

En fait, l’album tout entier est un coffret de pépites. On citera pêle-mêle Ufigh ur Ufigh (Insatisfaction), Bedd (Debout !) Dderz lfetna (Bruit de guerre), Lwennas (Lounes Matoub), Lxid (Le funambule) Sanda akka (Quelle est ta destination ?), Tidyanin (Les questionnements), Ma d dunit ik (Quant à ta vie…) Côté langue, on retrouve cette attention particulière et ce soin méticuleux que Ali Amran, en amoureux de la langue de ses aïeux, accorde à chaque mot et à chaque phrase pour tisser ses poèmes comme de précieux tapis berbères. Le fait est que, comme le dit notre auteur-compositeur : «Notre principal média en langue kabyle est la poésie des poètes et des chanteurs, ce sont nos propres écrivains.»

D’où l’importance du verbe pour un peuple qui a fait des poètes des demi-dieux. Au final, Tidyanin est un album qui vous communique de bonnes vibrations et beaucoup d’énergie positive. Il est comme un élixir de jouvence qui se savoure jusqu’a la dernière goutte, jusqu’à la dernière note. Tout compte fait, on peut dire que Ali Amran a réussi un très beau mariage d’amour entre puissance et douceur, modernité et authenticité, mélodies d’hier et musiques d’aujourd’hui.

Un mariage qui arrive surtout à ancrer la musique algérienne d’expression kabyle dans le concert des musiques du monde. C’est de la musique de chez nous mais c’est un album qui peut s’écouter avec autant de plaisir de Vgayeth à Toronto, Sydney à Marrakech, de New York à Osaka, de Paris à Bamako. Ali prouve ainsi qu’il est de ces rares artistes originaux qui ont une vision artistique globale pour proposer un album voyage, un livre musical où chaque «chaptitre» est une histoire qui raconte votre propre vie.

Djamel Alilat ( Source El-watan)

 

Tag(s) : #CULTURE
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