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Il ne se passe quasiment pas de jour sans que le mot «islam» occupe le débat public en France, déclenche une polémique ou fasse la Une des journaux à cause de quelque hurluberlu criant : «Allah Akbar !» avant d’accomplir son forfait… Et c’est encore plus visible dans le contexte «post-attentats», avec son lot de confusions, de propos «zemmouriens», d’actes islamophobes parfois et de «muslim-bashing».

«Tout l’islam est devenu objet de suspicion», regrette Dalil Boubakeur, recteur de la Grand Mosquée de Paris et ex-président du Conseil français du culte musulman (CFCM). «A Nice, les premières victimes, c’étaient des musulmans», souligne le vénérable recteur en parlant de cet attentat qui avait fait 86 morts le 14 juillet 2016. De son côté, l’essayiste et consultant à l’Institut Montaigne, Hakim El Karoui, auteur d’un rapport controversé intitulé «La fabrique de l’islamisme», résume : «La question de l’islam en France est, sans mauvais jeu de mots, assez explosive.»

Nous devons préciser que c’est dans le cadre d’un programme du ministère français des Affaires étrangères, en compagnie de cinq autres confrères algériens, que nous avons rencontré le docteur Dalil Boubakeur, ainsi que Hakim El Karoui, de même que Jean-Pierre Chevènement, président de la Fondation de l’islam de France, pour ne citer que les acteurs en rapport avec le traitement du fait religieux, objet de cet article (pour les autres aspects de notre visite, voir : «Mémoire, business et 5e mandat», suivi de «Paris-Alger classe ‘‘affaires’’» in El Watan du 6 novembre 2018).

«Entre 4 et 7 millions de musulmans» selon le Sénat.

Dans un précédent rapport intitulé «Un islam français est possible», Hakim El Karoui constate : «Une brève analyse des couvertures des principaux magazines hebdomadaires montre que l’islam est invariablement présenté comme porteur de violence et de haine.» Ces derniers mois, la question de «l’islam en France» ou de «l’islam de France» est devenue autrement plus urgente dans l’agenda présidentiel. S’il est présenté comme un président «muslim-friendly» très attaché à défendre l’islam et les musulmans de France, Emmanuel Macron semble tout aussi résolu à mettre de l’ordre dans la «maison de l’islam», qui est, faut-il le rappeler, la deuxième religion en France. C’est un exercice d’équilibriste dans la mesure où le principe de laïcité interdit théoriquement à l’Etat de se mêler de la gestion du culte, encore moins de financer les lieux de culte ou toute action publique en rapport avec la pratique de la foi.

Cela a d’ailleurs fait que des Etats entiers interviennent directement dans le financement et l’entretien des mosquées implantées sur le sol français. Numériquement, il y a entre 2500 et 2600 lieux de culte musulmans sur l’ensemble du territoire français. 98% des musulmans de l’Hexagone sont sunnites. Les estimations chiffrées concernant le nombre de musulmans sont, en revanche, fluctuantes. Un rapport du Sénat français intitulé «De l’islam en France à un islam de France, établir la transparence et lever les ambiguïtés», révèle : «Les différences d’approche sur ce sujet expliquent les écarts, parfois substantiels, entre les estimations avancées, oscillant allègrement entre 4 et 7 millions de personnes. Cette amplitude traduit simplement le fait que l’estimation du nombre de musulmans en France ne décrit pas la même réalité selon qu’elle retient les seuls pratiquants ou les musulmans sociologiques».

Luttes d’influence Algérie-Maroc-Turquie

Une cartographie «hâtive» de l’islam en France fait ressortir trois pôles dominants, chacun avec son patrimoine mosquées : il y a les Algériens, les Marocains et les Turcs. «Les musulmans français sont dans leur majorité originaires d’Afrique du Nord : 38% sont d’origine algérienne, 25% d’origine marocaine, 8% d’origine turque et 9% sont originaires des pays d’Afrique subsaharienne. La très grande majorité des musulmans étrangers sont eux aussi originaires du Maghreb, d’Afrique ou de Turquie», détaille le rapport «La fabrique de l’islamisme».Ce découpage est tel qu’on trouve des mosquées entières exclusivement algériennes ou marocaines comme le confirme ce chauffeur de taxi originaire du royaume chérifien : «Vous avez des mosquées que pour les Algériens, et d’autres que pour les Marocains. Parfois, la rivalité va jusqu’à provoquer des bagarres dans les maisons de Dieu. C’est triste !», se désole notre ami.

La situation des musulmans en France, convient-il de le signaler, a toujours concerné de près ou de loin l’Algérie. Notre pays a de tout temps été lié à cette institution emblématique qu’est la Grande Mosquée de Paris. A noter que celle-ci comprend également un établissement de formation des imams : l’institut Al Ghazali.

L’Algérie envoie par ailleurs des «imams détachés» pour aider à encadrer les lieux de culte musulmans en France. En 2016, 120 «imams détachés» ont été dépêchés pendant le Ramadhan. Un document du Sénat français daté de 2016 donne de précieuses indications sur «le financement par l’Etat algérien du culte musulman en France». Extrait : «Selon l’ambassadeur d’Algérie, la communauté algérienne ou d’origine algérienne représenterait, avec environ trois millions de personnes, la première communauté musulmane de France. Mais ‘‘cela ne signifie pas que ces trois millions de personnes sont pratiquantes’’, précise-t-il. Le financement par l’Algérie des associations et lieux de culte musulmans en France est indirect, puisqu’il s’effectue dans le cadre d’un accord entre une commission des affaires religieuses en Algérie et la Grande Mosquée de Paris. Les Algériens se déclarent, selon l’ambassadeur, ‘‘très attachés au rôle de la Grande Mosquée de Paris comme symbole de l’islam en France, et pas seulement d’un islam algérien’’.

Concrètement, le financement s’organise à travers une subvention globale versée par l’Algérie à la Grande Mosquée. Celle-ci en utilise une partie pour son fonctionnement et répartit les fonds restants, sur demande expresse, aux dizaines d’associations, mosquées et lieux de culte qui lui sont affiliés dans le cadre de la Fédération nationale de la Grande Mosquée de Paris. Les associations qui reçoivent les subventions sont très majoritairement mais pas exclusivement dirigées par des Franco-Algériens. Ces subventions concernent la construction et le fonctionnement d’institutions religieuses ainsi que le financement de certaines activités cultuelles des Franco-Algériens établis en France». D’après ce même document, «les aides financières de l’Algérie à destination de la communauté musulmane française se sont élevées à 1,8 million d’euros en 2013 (pour des montants compris entre 20 000 et 49 000 euros par projet)».

Réguler le marché du halal, traçabilité de la zakat

Pour revenir au projet de réforme d’Emmanuel Macron, il faut rappeler sa déclaration de juillet dernier : «Dès l’automne, nous donnerons à l’islam un cadre et des règles garantissant qu’il s’exercera partout de manière conforme aux lois de la République.»
De fait, en septembre, il recevait sur son bureau le rapport réalisé par Hakim El Karoui, ancien banquier chez Rothschild comme lui. Parmi les propositions avancées dans ce rapport : le contrôle des dons et des flux financiers qui circulent au sein de la communauté, l’institution d’une «taxe sur le halal» et la «traçabilité» de la zakat. «Il faut réguler le marché du halal et le marché du hadj», insiste l’essayiste franco-tunisien. M. El Karoui préconise la création d’une nouvelle institution à la place d’un CFCM jugé peu représentatif : l’Association musulmane pour l’islam de France (AMIF).

Celle-ci aurait pour mission : la formation et la rémunération des imams, la construction des lieux de culte, les aspects théologiques et la lutte contre l’islamophobie et l’antisémitisme… Hakim El Karoui n’hésite pas à accabler ce qu’il appelle «l’islam consulaire». «En France, il n’y a pas d’islam officiel ; les salafs parlent aux jeunes. Si tu parles avec le tampon officiel, ça ne passe pas», analyse-t-il. «Il y a 150 mosquées salafistes en France», ajoute-t-il. Il faut citer aussi les prédicateurs stars d’Arabie Saoudite qui s’adjugent des millions de followers sur les réseaux sociaux. Cela, sans parler de l’appel de Daech et consorts. «Il y a eu 800 à 900 départs en Syrie», indique HEK. A l’en croire, 28% des musulmans en France sont «sécessionnistes et autoritaires», en rupture avec le modèle républicain.

Emmanuel Macron va-t-il s’appuyer sur ce rapport pour ses réformes ? Rien n’est moins sûr quand on sait la levée de boucliers qu’il a soulevée. La Grande Mosquée de Paris l’a d’emblée récusé à travers un tweet incendiaire, le rebaptisant ironiquement «La fabrique de l’islamophobie». «Sous couvert de dissection de l’islamisme, les musulmans sont un problème et l’islam une marée à endiguer», dénonce le même tweet. De son côté, le politologue François Burgat écrit dans son blog sur Mediapart : «Mais cette thèse occulte totalement la possibilité que, dans le contexte de l’affrontement Nord-Sud hérité de la colonisation, la référence religieuse (islamique) ‘‘du Sud’’ puisse avoir un potentiel banalement identitaire, très différent de celui qu’a eu l’Eglise chrétienne au service de la monarchie absolue.

Et elle homogénéise radicalement le très large spectre contemporain des expressions de l’islam politique, dont la représentation est figée dans le ciment d’un immobilisme essentialiste pourtant systématiquement démenti par n’importe quelle observation du terrain». François Burgat observe que dans cette optique, nos coreligionnaires «sont assimilés indistinctement, quelle que soit leur place sur l’échiquier politique, à des ‘‘agents d’influence de l’islamisme’’».
Pendant ce temps, Macron, lui, s’accroche à son projet de réforme dont il a largement esquissé les contours lors de son discours du 21 juin 2017, à la table du f’tour du CFCM : «Il nous faut toujours réaffirmer qu’il n’y a pas, dans notre pays, d’un côté les musulmans et de l’autre les Français. Mais bel et bien uniquement des Français, de tous horizons, de toutes convictions, tous citoyens au sein d’une République dont la laïcité garantit à chacun la liberté et l’égalité et offre comme projet commun la fraternité», martelait le chef de l’Etat français.

«Il y a place pour l’islam à la table de la République»

Pour compléter le tableau, rencontre chaleureuse avec Jean-Pierre Chevènement, président de la Fédération de l’islam de France, qui nous a gentiment reçus au siège de la Fondation en précisant que cette discussion s’inscrit dans un cadre «amical» et qu’elle «n’engage ni la Fondation, ni le gouvernement français». Il faut rappeler que M. Chevènement a été l’un des premiers responsables français à promouvoir l’idée d’un «islam de France». Alors qu’il était ministre de l’Intérieur, il déclarait le 23 novembre 1997 : «La moitié des musulmans qui vivent sur notre territoire national sont français. La plupart des autres sont appelés à le devenir. Le gouvernement ne saurait s’en désintéresser. (…) L’Etat n’imposera pas ses choix. 

Ce n’est pas son rôle. (…) Sachez en tout cas qu’il y a place pour l’islam à la table de la République. Ce n’est pas seulement un droit qui revient aux musulmans ; c’est une chance pour eux et pour la France de faire vivre, sur notre territoire, un Islam moderne.»

M. Chevènement est revenu sur cet épisode en disant : «J’ai lancé l’ijtihad pour favoriser l’émergence d’un islam moderne.». Pour lui, «l’islam de France, c’est quelque chose dans lequel se reconnaissent les jeunes nés en France, et qui sont de culture musulmane.» C’est un «islam rassembleur (…) qui ne peut se confondre avec le djihadisme» ; une «force de raison et de progrès». Il estime que «la vague salafiste impressionne les jeunes peu formés». Celui qui a démissionné avec fracas le 29 janvier 1991 alors qu’il était ministre de la Défense pour protester contre l’engagement militaire de la France dans la première guerre du Golfe, note à regret en analysant les effets de l’invasion de l’Irak en 2003 : «On a récolté Al Qaîda et Daech.»

Il déplore également les divisions qui minent la communauté musulmane de l’intérieur «et c’est pour ça que je suis président de cette Fondation de l’islam de France», confie-t-il. Pour ne pas faire de jaloux. Sur son site officiel, cette instance est présentée en ces termes : «La Fondation de l’islam de France (FIF) a été créée à la suite des attentats de novembre 2015. Elle est née notamment de la volonté de combattre, par la connaissance et la culture, l’idéologie salafiste, réductrice et manichéenne, qui nourrit le terrorisme djihadiste. La Fondation est laïque et œuvre dans les champs éducatif, culturel et social. Son objet n’est pas religieux mais profane ; elle n’est ni communautaire, ni prosélyte».

M. Chevènement regrette qu’il n’y ait plus de grands islamologues de la trempe des Jacques Berque, Henry Corbin ou encore Louis Massignon. Sur le site de la Fondation, on trouve d’ailleurs cette référence à Jacques Berque : La philosophie du projet de la Fondation peut être résumée par cette pensée de Jacques Berque formulée dans le livre Les Arabes, l’islam et nous : «Qu’il se crée en France non pas un islam français, mais un islam de France, disons, pour simplifier, un islam gallican, c’est-à-dire un islam qui soit au fait des préoccupations d’une société moderne, qui résolve les problèmes qu’il n’a jamais eu à résoudre dans ses sociétés d’origine, figurez-vous le retentissement qu’aurait cet islam de progrès sur le reste de la zone islamique !»  

Mustaphan Benfodil ( Source El-watan)

Tag(s) : #La religion
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