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En voyant l’ampleur des manifestations actuelles contre le 5e mandat de Bouteflika, cela m’a replongé dans les souvenirs de mon vécu et de mes lectures. Les premières images qui me sont revenues sont celles de la fête de l’indépendance, ou du moins de ce que nous avons cru être l’indépendance.

C’était des moments de liesse populaire, de liberté et de fraternité, où l’on pouvait voir des femmes qui n’étaient jamais sorties sans être accompagnées de leurs maris ou de très proches membres de la famille, même si c’était d’innocents adolescents. Ces femmes étaient sorties, s’étaient entassées dans des camions et autres voitures pour faire des tours d’honneur dans leurs villes, en faisant flotter le drapeau algérien et en accompagnant la fête de leurs youyous.

Il me faut d’abord expliquer pourquoi j’émets des doutes sur cette qualification de l’indépendance. Même si je pense à plusieurs raisons, je me contenterais de vous rapporter l’histoire suivante qui m’a profondément marqué. A ses débuts, l’hebdomadaire Algérie-Actualités, avait recruté comme journaliste la regrettée poétesse Zhor Zerari, membre du groupe des femmes de la Zone autonome d’Alger et ancienne condamnée à mort de l’administration coloniale.

Dans le cadre de sa mission, elle a été chargée par son journal de faire un reportage sur les comités de gestion agricoles. Et elle avait conclu son article par le constat suivant: «Ce qui a changé pour les paysans, ce n’est pas le méchoui, ce sont les gens qu’il y a autour.» A la suite de quoi elle a été interdite d’écriture, tout en continuant à être rémunérée.

Quand j’ai lu sur des pancartes portées par certains manifestants, «Un seul héros, le peuple», reprenant ainsi l’un de ces beaux slogans des premières années de l’«indépendance», je me suis dit c’est gagné, notre jeunesse est en train de tirer les bonnes leçons de notre histoire.

En effet, à l’époque, notre génération était loin d’imaginer que ce slogan cachait une arrière-pensée perverse, qui consiste à occulter les noms des véritables combattants pour l’indépendance, arrière-pensée perverse qui faisait partie de cette grande manipulation de l’histoire, qui a abouti à faire de Boudiaf un inconnu lors de son retour au pays, et de Bouteflika «un grand moudjahid», comme on nous le ressasse à grands cris aujourd’hui. Pourtant, j’avais régulièrement écouté pendant la guerre les deux voix de la Révolution algérienne, qu’étaient «Sawt el ɛarab», du Caire, et «Sawt El Djazaïr», de Tunis, mais je n’avais jamais entendu le nom de Bouteflika cité dans une quelconque bataille ou une autre mission aussi futile fût-elle.

Où a-t-il combattu ? Au Mali ? Mais pour quelle lutte ? En fait, j’avoue que j’ai mis beaucoup de temps avant de comprendre ma regrettée mère qui l’avait toujours appelé «Bu tfelquqin», (l’homme des mauvais tours). Pourtant, ma mère n’a jamais été à l’école, elle a été femme au foyer durant toute sa vie, mais elle savait écouter et retenir les voix de la sagesse. Elle avait ce flair féminin qui se trompait rarement.

Comme ma mémoire libère les souvenirs d’une manière un peu désordonnée, je me permets maintenant d’évoquer une de mes lectures un peu plus récentes. Il s’agit de cet entretien du poète Adonis avec Chantal Chawaf, publié sous le titre «Identité inachevée», Editions du Rocher, 2004.

Dans ce petit opuscule, Adonis explique que les dirigeants arabes n’ont toujours pas conscience de diriger des États, ils se conduisent comme des chefs de tribus, ayant droit de vie et de mort sur leurs sujets. C’est ainsi qu’Adonis nous explique pourquoi on ne voit jamais un chef d’État arabe quitter le pouvoir dans des conditions normales d’alternance démocratique. Ils sont toujours poussés vers la sortie par un coup d’État, un décès ou un soulèvement populaire que l’armée n’arrive pas à contenir.

En passant en revue les différentes idées défendues autour et par ces manifestations contre le 5e mandat de Bouteflika, cela m’amène à la nécessité d’évoquer un autre souvenir bien étranger à notre réalité actuelle, mais pas autant que ça, en vérité. En 1989, Après la chute de Ceausescu en Roumanie, il s’en est suivi une lutte féroce pour le pouvoir dans ce pays. En France, le journaliste Jean-Claude Bourret présentait sur la Cinq une émission quotidienne à midi, où il mettait en débat deux personnalités opposées. Un jour, c’était deux opposants roumains qu’il avait réunis.

L’un était opposant de l’extérieur, qui vivait donc en exil, et l’autre de l’intérieur du pays. A un moment, l’opposé de l’intérieur, pour imposer sa légitimité dit à peu près ceci : «C’était bien beau de faire de grands discours dans des salons de luxe en Occident, mais cela n’avait aucune influence sur le système en place. Rien de ce que vous disiez ne parvenait chez nous. Tout était verrouillé. Donc, si le régime a explosé, c’est seulement grâce à ces petites mines déposées progressivement par nous à l’intérieur de ce système.» Et l’ancien exilé de répondre alors :

«Il ne faut pas oublier que quand on évolue au sein de ce système pendant un certain temps, on finit par acquérir ses réflexes.» La leçon de ce débat nous interpelle fortement aujourd’hui. Voici pourquoi : d’une part, j’ai lu dans El Watan, et avec un grand intérêt, l’interview du général-major en retraite, Ali Ghediri, tout comme j’ai lu aussi le programme politique sur lequel il s’était entendu avec Me Mokrane Aït Larbi. Ali Ghediri était un illustre inconnu, ce qui, pour moi, est une qualité concernant cette catégorie sociale de notre pays, car les noms les plus connus dans ce milieu, ce sont des officiers aux mains salies par la corruption ou par le sang de leurs frères.

Mokrane Aït Larbi est connu pour être l’un des hommes les plus crédibles de notre classe politique actuelle. D’autre part, j’ai également lu dans El Watan, l’interview du général Hocine Benhadid, dont le nom a été révélé depuis son arrestation et sa libération pour des raisons non encore clarifiées pour l’opinion publique. Cela dit, les deux généraux sont visiblement et sincèrement opposés au pouvoir en place. Ghediri est délibérément contre le système, alors que Benhadid ne semble l’être que parce qu’il en a été victime. Cependant, tous les deux ne semblent pas s’être émancipés vraiment de la culture politique du F.L.N.

C’est là que réside la source de tous les maux de notre pays. Ils veulent combattre le système, mais en continuant à en garder les réflexes. C’est ce qui explique, à mon sens, que l’un refuse d’écouter la voix de la rue et l’autre fait appel à ceux qui ont largement contribué à asseoir le système contesté aujourd’hui. Je veux parler de la proposition de Benhadid de la constitution d’un comité des sages chargés de la mise en place des structures de transition pour sortir de la crise actuelle.

Ce que je conteste dans ce comité des sages, ce n’est bien sûr pas le nom de Me Ali Yahia Abdennour, c’est surtout les noms de Taleb Ahmed Ibrahimi et celui de Boualem Benhamouda. Avec ces deux personnages, ce sera le retour à la case départ garanti et un clash inévitable avec Me Ali Yahia Abdennour, dont la vigilance sur les principes républicains est toujours en alerte, malgré son âge avancé. Par ces positions, les deux généraux nous révèlent surtout qu’ils ont encore du travail de réflexion à faire sur eux-mêmes pour sortir de cette culture FLN du mépris du peuple et de la manipulation de l’Histoire.

Mais il n’y a pas que cela dans cette culture FLN qui envenime la vie politique dans notre pays et devant laquelle nos jeunes d’aujourd’hui doivent rester vigilants. Il y a aussi des éléments qui traversent, consciemment ou inconsciemment, volontairement ou par mimétisme, tous les partis politiques et même la majeure partie de la société algérienne. Je peux citer le culte du secret et surtout le manque de transparence. J’ai assisté à deux congrès de partis politiques démocrates.

Dans les deux cas, je n’ai pas entendu de rapport financier pour savoir d’où vient l’argent et ce à quoi il va servir. Je n’ai pas entendu ne serait-ce que deux ou trois candidats venir présenter devant les congressistes un programme de travail, une feuille de route sur la base de laquelle on briguerait le poste de direction du parti. Je n’ai vu qu’un seul candidat choisi dans les coulisses et élu à main levée.

Comment peut-on qualifier un parti qui n’a même pas confiance en ses militants, qui n’est même pas transparent avec les siens ? Je termine en souhaitant qu’au moment du choix des hommes pour assurer la transition qui s’annonce, on ne tienne compte dans leur CV que de leur parcours politiques et professionnels, de leurs compétences réelles, de leurs casiers judiciaires et surtout de leurs comportements habituels vis-à-vis des lois de la République. Il est nécessaire d’écarter du jeu ceux qui se donnent la légitimité révolutionnaire, la légitimité religieuse, ainsi que ceux qui n’ont jamais compris qu’être homme ou commis de l’Etat, c’est être au service de son État, de son pays, de son peuple et nullement être un valet d’un parti, d’une famille politique ou d’un pouvoir de quelque ordre qu’il soit. 

BEN Mohamed ( Source El-watan)

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