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Un demi-siècle après l’indépendance, rien n’a été fait pour que le fort soit restauré et que son histoire soit connue de la nouvelle génération.

 

Le Fort turc ou Bordj Omar dominant le village d’Ath Vouali dans la commune d’Ath Mansour, à l’est de Bouira, est un monument de haute valeur historique et archéologique, mais qui n’arrive toujours pas à susciter l’intérêt des pouvoirs publics. Sa construction remonte à plusieurs siècles. Il aurait été érigé par les Turcs, selon certaines sources historiques, à la même époque que Bordj Hamza de la ville de Bouira, entre 1540 et 1541 de notre ère.

Sous la colonisation française, soit à partir de 1830, le fort deviendra une propriété de l’armée française qui le cédera près d’un siècle après, le 3 mai 1925, à des particuliers, et ce, après l’avoir mis aux enchères en 1924 au niveau de la cour de justice de Bouira. L’acte de vente a été établi le 3 mai 1925 par Me Jean Michel Bové.Le plan du fort a été fait sur la base d’une copie conforme d’un plan datant de 1887.un-patrimoine.png

 

Un demi-siècle après l’indépendance, rien n’a été fait

L’édifice, situé dans un domaine de plus 68 hectares, réquisitionné par l’armée coloniale, se transformera en une prison et en un sinistre centre de torture entre 1954 et 1962. Plusieurs Algériens y ont perdu la vie sous la torture. A l’indépendance, les propriétaires ont regagné leur Bordj. Une année après, soit en 1963, c’est au tour de l’armée algérienne, sous le règne du président Ahmed Ben Bella, d’occuper les lieux jusqu’en 1965, date du coup d’Etat orchestré par Houari Boumediène. Un demi-siècle après l’indépendance, rien n’a été fait de manière à ce que le fort soit restauré et que son histoire soit connue de la nouvelle génération.

 

Les horreurs que les Algériens y ont vécues pendant la guerre de libération sont passées jusqu’ici sous silence. Et pourtant, les pouvoirs publics ne cessaient d’annoncer, ces dernières années, l’entame d’un projet portant sur la restauration de ce patrimoine. Même cas pour plusieurs sites patrimoniaux. Hormis Bordj Hamza de la ville de Bouira et le centre de torture de Tiliouine, commune d’Ahl Lakseur, qui ont été réhabilités, ainsi que le mur d’Auzia de Sour El Ghozlane dont les travaux sont toujours en cours, plusieurs sites attendent d’être inscrits sur la liste des monuments à restaurer. Plusieurs sites et monuments datant de l’époque romaine et turque sont abandonnés à leur sort.

 

Une mémoire collective menacée

Profitant de l’absence et du laxisme des pouvoirs publics, l’un des propriétaires a construit une villa tout en démolissant une partie du fort. Son voisin, Ladi El Hachemi, qui allait entamer lui-aussi des travaux de construction a dû renoncer à son projet quand il a reçu une mise en demeure de la commune lui demandant d’arrêter les travaux parce qu’il s’agit d’un patrimoine qu’il faut préserver. Cela remonte à 1996, au cœur des années du terrorisme.

 

«Suite à une tournée d’inspection effectuée par les agents de l’urbanisme de la commune, il résulte que vous aviez engagé des travaux de construction sur la partie ouest du site contenant l’ancien fort sans aucune autorisation réglementaire préalablement délivrée par l’autorité habilitée. Cet acte constitue une violation de la réglementation en vigueur en matière de permis de construire et une dégradation volontairement d’une partie du bâti restant du fort qui est un patrimoine à sauvegarder», lit-on dans la mise en demeure communale datant du 16/11/1996. Or, bien avant que la commune d’Ath Mansour n’intervienne pour sauver ce monument historique, Ladi El Hachemi affirme que dans l’acte de vente signé en 1925, il est mentionné que toute modification du Bordj est strictement interdite. Et si réparation il y a, il faut avoir l’autorisation de l’armée coloniale. Dix-sept ans après, le site n’a pas été rénové. Les années ont fait leur œuvre. Les murs sont lézardés.

 

Des parties du fort se sont complètement effondrées. Cela n’empêchera pas que la majorité des chambres qui faisaient office de salles de torture à l’époque coloniale tiennent encore debout. Mais il est nécessaire que les travaux de restauration commencent pour sauver ce Bordj de la disparition. «Nous sommes d’accord pour que ce monument soit rénové. C’est l’histoire de notre pays», estime M. El Hachemi, l’un des propriétaires du site. Selon ce dernier, des délégations venaient régulièrement sur le site pour probablement une évaluation en vue de sa réhabilitation. «Les responsables locaux nous ont affirmé à plusieurs reprises que la wilaya allait prendre en charge la restauration du site historique.

 

Mais on ne nous a rien proposé», souligne-t-il. Mais pour que ce propriétaire accepte que le fort change de main, il ne dira pas oui à n’importe quel prix. La contrepartie doit être conséquente. «Nous demandons qu’ils nous indemnisent de manière équitable en nous donnant la même superficie de terrain ailleurs. On ne veut pas sortir bredouilles de cette histoire», dit-il.

 

Le récit d’une torturée

Ce monument, il faut le souligner, était aussi témoin de la barbarie coloniale. Les récits et les témoignages sur les scènes de torture qui y ont été pratiquées entre 1954 et 1962 donnent froid dans le dos. Mme Nouara Gana, veuve du chahid Ali Gana, qui était le chef de zone dans la région d’Ath Mansour, en témoigne. Elle a raconté les atrocités que les officiers de l’armée coloniale lui ont fait subir. Les années n’ont pas altéré sa mémoire. Elle se souvient du premier jour de son emprisonnement dans ce centre de torture.

 

 Elle se souvient même d’un harki qui lui avait assené une gifle et que la

cendre de sa cigarette avait brûlé son fils Boualem, âgé de quatre mois au moment des faits. «Ils m’ont fait entrer dans un cachot, j’y trouve un militaire au grade de capitaine. Sur la table qui est devant lui, se trouve un cahier et un stylo pour retranscrire tout ce que je leur dirai. Ils veulent savoir où se cachent les moudjahidine et dans quelle maison viennent-ils ? Ils veulent savoir tout sur leurs mouvements», raconte-t-elle avec émotion.

 

Rencontrée sur les lieux, Mme Gana, se rappelle de tous les endroits où ses bourreaux l’ont emmenée. Dans les salles de torture, certains objets, comme les emplacements des chaînes avec lesquelles les prisonniers étaient attachés, sont encore visibles sur les murs. La poulie que les geôliers utilisaient pour soulever et descendre les prisonniers mis dans un puits demeure à ce jour à sa place. «De l’autre côté des murs, mes bourreaux me torturaient. Ils étaient six dans la cellule. Je n’ai rien dit, je n’ai dénoncé personne malgré les souffrances qu’ils m’ont fait subir sous l’effet de l’électricité. J’avais les mains et les pieds liés et les séances de torture durait parfois plusieurs heures. Il arrivait même que je restai immobile pendant une semaine sans manger ni boire», poursuit Mme Gana. Les prisonniers qui sortaient des salles de torture, se souvient toujours Mme Gana, étaient pleins de sang, mutilés et plusieurs d’entre eux n’ont pas survécu aux terribles tortures.

 

Au milieu des années 80, plus d’une quarantaine de cadavres inhumés dans une fosse commune ont été découverts par la population à quelques centaines de mètres du Bordj Omar. Les ossements qui ont été exhumés appartiennent sans aucun doute aux prisonniers algériens emmenés dans ce sinistre centre de détention colonial, et morts sous la torture ou achevés froidement par leurs bourreaux de l’armée française pendant la guerre de libération. qu’attendent les services concernés, notamment la direction de la culture et celle des moudjahidine, pour sauver ce Bordj menaçant ruine ?

Ali Cherarak
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