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“C’est à l’État de répondre aux besoins de la société”
© D.R.
    

Universitaire et consultant,

 

Hacène Hirèche traite  dans cet entretien l’origine de Yennayer et sa référence culturelle. Il évoque aussi l’amazighité dans son ensemble et plaide pour sa reconnaissance officielle par les pouvoirs politiques.

Liberté : Les peuples amazighs célèbrent leur nouvel an 2965. Il coïncide avec le 12 janvier de chaque année. Quelle est, en fait, la référence historique de cette date 2965 et pourquoi justement un 12 janvier ?
Hacène Hirèche : Yennayer est une fête avant tout reliée aux cycles agraires dans le bassin méditerranéen. Son caractère berbéro-romain est une hypothèse forte. Certaines divinités sont communes aux cultures. Dans notre tradition, il correspond “aux portes de l’année” (tibbura useggas) qui annoncent les changements dans une perspective heureuse. C’est la raison pour laquelle les familles améliorent leur repas à cette occasion. La date du 12 janvier relève, quant à elle, d’un savant calcul lié aux équinoxes, à la rotation des astres.
Pour la date de 2965, elle se réfère à la victoire du roi amazigh Chachnaq sur les pharaons. Il a pris le pouvoir en Egypte pharaonique, et l’association Union du peuple amazigh, proche d’Agraw imazighen (Académie berbère de Paris) et dirigée par le Chaoui Amar Négadi, en a fait une date symbolique de départ de notre ère. C’est tout à fait judicieux parce que cela permet de récupérer un pan entier de notre histoire ancienne.

 

Il sera célébré dans tous les pays de Tamazgha d’une manière presque similaire. Comment peut-on exprimer toute cette traversée à travers les siècles sans s’altérer ?
En effet, Yennayer est célébré dans toute l’Algérie et au-delà dans la région nord-africaine. Il est le produit de notre culture ancestrale, et à ce titre, il traverse les siècles. Il est porteur de marqueurs historiques, anthropologiques et surtout psycho-généalogiques qui révèlent la vraie histoire de notre pays, loin des politiques de travestissement que les pouvoirs successifs et leurs idéologues nous ont imposées depuis 1962. C’est dans ces moments de communion que les Algériens retrouvent tous de façon consciente et inconsciente leur appartenance commune à l’amazighité. C’est la culture vécue au service de l’histoire, et c’est une forme de résistance aux tentatives de déculturation et de dépersonnalisation. Il est donc important d’acculer le pouvoir jusqu’à faire de cette journée du 12 janvier une fête nationale pour que les enfants d’Algérie retrouvent leur patrimoine dans la cohérence et la convergence. C’est important pour leur équilibre psychique et c’est important pour l’union et la cohésion sociales. Il y va de l’autonomie culturelle du pays vis-à-vis de puissances qui cherchent à soumettre l’Algérie à des rapports de vassalité. C’est le cas de l’Egypte nassérienne et des monarchies pétrolières du Golfe.

 

Tamazight ou l’amazighité n’a toujours pas acquis la place qui est normalement la sienne en Algérie. Le déni persiste toujours. À quoi répond justement ce déni, même si les peuples, quant à eux, reconnaissent cette date symbole ?
Il y a un climat de violence institutionnelle en Algérie, et les communautés amazighophones ont été sommées de mettre en sourdine le droit à leur langue, à leur culture, à leur histoire. Revendiquer tamazight comme langue algérienne conduisait, il y a peu, tout droit devant la cour de sûreté de l’État ! Vouloir, à cette période, en faire une langue nationale et officielle était considéré comme un acte de trahison ! L’Algérie de l’époque était inféodée à l’Égypte, et Gamal Abdelnasser la voulait arabe et musulmane, et le duo Ben Bella/Boumediene ont obtempéré et sont allés dans le même sens. Alors chercher à désensevelir les vraies racines du pays, à diffuser sa langue ancestrale était un acte sécessionniste. “L’Algérie algérienne” autonome, comme l’ont clamé les militants berbéro-nationalistes du PPA-MTLD en 1949, était à leurs yeux une hérésie à combattre. En tentant de faire entendre raison, ces “hérétiques” l’ont payé de leur vie. Les tenants de l’Algérie arabe restent, à ce jour, sourds aux clameurs du pays réel et insensibles aux conséquences désastreuses que subissent les nations arabo-centriques qui nous ont inoculé cette idéologie ethno-théocratique violente. Cet autisme politique peut conduire à une reproduction du scénario moyen-oriental chez nous.

 

Le pouvoir s’apprête à réviser la Constitution. Pensez-vous que tamazight trouvera sa place dans ce texte que les initiateurs présentent comme le fruit d’un consensus ?
À dire vrai, seule la mobilisation populaire et la mobilisation d’intellectuels, journalistes, acteurs associatifs et les partis de la région de Kabylie peuvent imposer une place officielle à notre langue dans la future Constitution. Se contenter de dire que c’est déjà un acquis et que le pouvoir va inscrire cette réalité dans le texte fondateur qu’est la Constitution c’est se berner d’illusions sans lendemain. De toute façon, rien ne sera efficient sans la refondation de l’État. Les régions doivent sauvegarder leur spécificité, et seul un statut spécifique répondra aux besoins sociaux en matière linguistique, culturelle, économique, etc. La Kabylie est prête pour cela et elle servira d’aiguilleur aux régions qui le souhaiteront. Il s’agit là des besoins de la société, et c’est à l’État de répondre aux besoins de la société et non à la société de répondre aux besoins de l’État, surtout que celui-ci est aujourd’hui la copie conforme de l’État colonial jacobin.

 

Par Mohemed Mouloudj

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