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Belaïd Abane. Essayiste, politologue et professeur en médecine Il n’existe pas de récit national chez nous

L’année 2017 marquera la sortie de son quatrième livre des révélations sur la mort de son oncle, Abane Ramdane. L’auteur, Belaïd Abane, neveu du chahid, fera de 2017 une année de deuil national et d’apaisement. Un hommage symbolique, 60 ans après l’assassinat d’un unificateur incontesté.

Votre prochain livre sera une véritable révélation, notamment la «liquidation» de Abane Ramdane par ses frères d’armes...

C’est une vérité que nous n’avons aucun intérêt à traficoter les faits pour impliquer untel ou untel. Cette vérité va soulager. Elle permettra à la famille de Abane, et j’ai envie de dire à la famille nationale, de faire le deuil définitif. Comme Abane est mort de manière anonyme, il reste beaucoup de zones d’ombre. Au bout de 60 ans, il est grand temps de lui rendre tous les hommages qu’il mérite et une sépulture symbolique. Ainsi cesseront les poursuites jusqu’au bout de la mort, puisqu’on ne l’a jamais laissé tranquille.

Un acharnement sans limites de la part de certaines personnalités...

Aucun autre dirigeant de la Révolution n’aura autant encaissé, même après sa mort. D’ailleurs, mes livres répondent à certains détracteurs ; dans un de mes livres, je voulais l’intituler Voyage au bout de la mort. Evidemment, Abane n’est pas un temple sacré qu’on ne peut pas profaner, c’est un homme qui avait ses défauts et ses qualités. C’est parce qu’il a beaucoup fait qu’on peut le critiquer, une personne qui ne fait rien n’a pas à être critiquée ! Abane a marqué d’une empreinte très forte la Révolution, on peut le critiquer sur l’option de la primauté du politique sur le militaire, de l’intérieur sur l’extérieur, etc. Mais tout ça se défend avec des arguments et de la recherche.

Même les principales résolutions du Congrès de la Soummam étaient ciblées?

Oui ! Sur les différentes résolutions du Congrès de la Soummam et même sur l’unité nationale dans la lutte. Certains avaient même dit qu’il n’était pas judicieux de faire entrer les centralistes, ni l’association des Oulémas ; Abane avait dit non et qu’on ne pouvait pas s’opposer au bloc colonial sans le reste. Ils devaient former un bloc national face au colonialisme.

Le bloc que devait constituer Abane refusait toute domination, c’est dans l’unité que s’exprimaient les différentes couleurs politiques, refusant l’emprise coloniale. C’était ça l’idée maîtresse de Abane. Il avait incontestablement une vision de ce que devait être une nation plurielle en intégrant tout le monde.

Finalement, le Congrès de la Soummam est la concrétisation de la vison d’Abane : l’Algérie érigée en nation ?

L’Algérie n’était plus une problématique coloniale, elle sortait de l’ombre d’une puissance répressive qui mettait tout un peuple à genoux. La Soummam fera en sorte que la Révolution algérienne se mette en action, avec toutes les divergences existantes, pourtant réunies par Abane Ramdane.

Abane était un infatigable fédérateur jugé pour ses idées...

Il y a une espèce de haine qui n’est pas dirigée contre Abane seulement. Il y a des gens qui croient que si on est ouvert, que l’on voit plus loin que le monde arabo-musulman, on est contre l’arabisme et l’islam, de ce fait nous devenons des traitres. Il y a autant de nationalistes francophones ; n’oublions pas qu’à cette époque les grandes correspondances se faisaient essentiellement en français. Tout le courrier se faisait en langue française, les idées de la Révolution française ont nourri certains nationalistes algériens. Il n’y a aucune honte à s’inspirer d’idées prônant la liberté et la démocratie. Qu’on ne vienne pas nous dire que celui qui est ouvert sur l’Occident devient suspect. Le suspect est celui qui voulait attendre que la providence fasse quelque chose pour le destin de l’Algérie.

Homme de vison et de culture, Abane se montrait-il mal à l’aise avec la langue arabe par exemple ? Pourquoi le jugeaient-ils réellement ?

Je me souviens que Abane nous lisait en arabe Les Mille et Une Nuits, il n’avait aucun problème. Abane parlait au nom d’une nation et non d’une région. Abane n’a pas eu beaucoup d’ennemis, les seuls à ma connaissance sont ceux qui avaient la prétention de vouloir prendre le pouvoir comme lui ; je peux les citer, ils se comptent sur les doigts d’une seule main et faisaient partie de la délégation extérieure, je l’ai écrit dans mes livres. Ahmed Ben Bella en faisait partie, il voulait le pouvoir tout simplement. Abane et Ben Bella étaient en compétition pour la prise du pouvoir. Le Congrès de la Soummam va précisément précipiter cette rivalité.

Abane n’avait pas que des ennemis…

Heureusement ! D’ailleurs, il avait peu d’ennemis. Il était incontesté. Il avait une très grande amitié avec Ben M’hidi, ce dernier était sur la même voie politique que Abane.

Vu les interrogations que l’on se pose 60 ans plus tard, que pensez-vous des recherches des historiens des deux rives ?

Il y a eu une première phase où les historiens coloniaux ont fait l’histoire comme ils l’ont vécu à l’époque, c’est-à-dire sans aucune empathie pour nous les Algériens, les indigènes. Ils ont écrit l’histoire vu du côté français.

Ensuite, il y a eu l’histoire par les nouveaux historiens qui ont pris du recul et qui ont une conscience, dont Pascal Blanchard, Sylvie Thénault, Raphaëlle Branche…

Ils ont écrit l’histoire et ont découvert que ce qu’avait fait la République française n’était pas joli, ils ont expliqué pourquoi les Français ne voulaient plus entendre parler de la guerre d’Algérie. Ce sont de nouveaux historiens qui ont parlé de la torture et des violences en situation coloniale.

C’est exactement ce qu’avez dit l’historien Pierre Vidal-Naquet qui n’y a pas été avec le dos de la cuillère en déclarant que ce qui s’est passé en Algérie c’était aussi grave que ce qu’avait fait le nazisme en France. En Algérie, il y a Harbi qui n’a jamais osé écrire sur le conflit entre l’Algérie et la France, il a écrit sur le FLN. Il n’existe pas de récit national chez nous, bien que les gens qui ont lu mon livre, dont la préface a été rédigée par l’historien René Gallissot, me rapportent que c’est ce qu’ils ont entre les mains.

En Algérie, nous avons encore des historiens qui continuent d’obéir à d’autres historiens qui écrivent l’histoire comme voudraient l’entendre les gens qui sont en France.

Par: Faten Hayed ( el-watan)

Tag(s) : #CULTURE
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