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Assurément et plus que jamais, l’élection présidentielle d’avril 2019 cristallise les tensions et attise les crispations. Ce n’est plus un rendez-vous de clarification politique, mais une addition d’inconnues qui ne cessent de se renforcer à mesure qu’il approche. Et chaque séquence politique qui se joue assombrit davantage un paysage frappé d’opacité.

Alors que des supputations en tout genre font douter sur la tenue du scrutin présidentiel dans son délai constitutionnel, l’armée fait brusquement irruption dans le débat national. Elle vient ainsi complexifier l’équation qui est déjà suffisamment inextricable. Son rôle, son poids et son choix sont fortement interrogés par l’ensemble des acteurs politiques.

Bon gré mal gré, le commandement militaire se retrouve sous le feu des projecteurs. Il est sollicité pour aider à une transition démocratique, interpellé à assumer ses responsabilités et sommé de se positionner franchement et d’assurer sa neutralité vis-à-vis de toutes le forces politiques en présence lors de la présidentielle.

Dans la crise politique dominante, son rôle est plus que jamais questionné. Ce n’est pas un fait nouveau, c’est même un classique dans les luttes pour accéder au pouvoir ou le garder, mais la situation politique dans laquelle est enferré le pays aujourd’hui est tellement inédite qu’elle soumet l’armée à l’épreuve. Le message du général-major à la retraite Ali Ghederi, invitant le chef d’état-major de l’ANP, Ahmed Gaïd Salah, à assumer ses «responsabilités historiques», a facilement levé le voile sur les intentions de l’institution militaire.

En s’empressant de lui répondre avec une rare virulence, l’ANP se jette avec armes et bagages dans la bataille politique. Consciemment ou non, elle se retrouve à faire de la politique. Le long message du ministère de la Défense et le sévère réquisitoire de l’éditorial de la revue El Djeïch – organe central de l’ANP – sont des communications politiques par excellence. Deux textes remplis d’appréciations politiques sur la situation actuelle, mais également sur un homme, ex-militaire certes, qui a exprimé ses opinions politiques.

Mais au-delà de l’échange vif et violent entre le ministère de la Défense et l’ancien patron du personnel de l’ANP, les avertissements émanant de la grande muette trahissent une guerre sourde que se livrent les blocs au pouvoir, formels et informels. Le ministère de la Défense nationale, et avant lui la présidence de la République, désigne un «ennemi», nommé «le cercle occulte», qui conspire.

Avec ou sans occasion, le pouvoir politique agite cette antienne pour disqualifier toute démarche alternative et tout discours critique. Mais sans pour autant donner un nom à ce Loch Ness algérien. Une méthode qui cherche à rendre impossible tout mouvement dans la société.

Il préfère le maintien du statu quo porteur de périls à la possibilité de la dynamique porteuse du changement et de fraîcheur politiques. Un procédé pernicieux qui consiste à jeter l’opprobre sur les adversaires, à empêcher le déroulement d’un débat national de fond et dans la sérénité nécessaire. Ainsi et dans un huis clos tyrannique et stérilisant, le pouvoir fait le choix du chemin sans issue. L’incapacité à aborder de front l’élection présidentielle en est la parfaite illustration. Il se met à coup sûr dans une situation d’incapacité à assumer ses propres «solutions».

Ce qui accentue les tensions internes. Et c’est dans cette configuration politique bloquée que des acteurs externes font appel à l’armée pour peser de tout son poids afin de sortir de l’impasse. Ils estiment que cette dernière est «l’unique groupe social qui reste debout» et que les partis ne sont plus en mesure d’assumer leur mission. Cependant, la grande muette refuse de jouer le jeu, prétextant sa neutralité et son éloignement du politique. Ce qui est pour le moins sujet à caution dans la mesure où l’élément militaire a historiquement fait partie et même constitué l’essentiel de l’ADN du régime depuis l’indépendance.

Profonde imbrication

Si formellement, l’armée algérienne est confinée dans un territoire bien défini par la Constitution et que ses chefs rappellent sans cesse le «retrait» de l’institution militaire du jeu politique depuis la fin du régime du parti unique, la réalité du pouvoir affirme l’inverse. Difficile de convaincre la classe politique dans son ensemble, tout comme l’opinion publique du contraire. Le mur étanche qui sépare l’institution militaire du champ politique est difficilement perceptible. D’évidence, la frontière qui les sépare est poreuse.

Le politique et le militaire n’ont jamais été sans lien, et ce, depuis le coup d’Etat contre le Gouvernement provisoire de la République algérienne. Un putsch qui a durablement installé l’armée au cœur du pouvoir politique. Dès le départ, elle a été son élément structurant. L’Etat s’est structuré autour de son armée et les différentes épreuves – du feu – qu’a connues le pays n’ont fait qu’asseoir solidement l’empire de l’armée aux dépens des autres institutions politiques civiles.
L’imbrication est tellement profonde, qu’il n’est pas aisé aujourd’hui de faire la séparation.

Il est vrai que le chef de l’Etat, Abdelaziz Bouteflika, depuis son installation au palais d’El Mouradia, s’est acharné dans une manœuvre de reconfiguration de la nature du système de pouvoir à briser le socle (armée-Etat) à la fois pour des raisons de pouvoir et aussi par nécessité politique. S’il a réussi à vaincre le mythe de la puissance des généraux, à saucissonner le bloc militaire et à réduire considérablement l’omnipotence de son noyau dur, qui sont les services spéciaux, il a fini par perdre face au temps.

Le temps qui a permis paradoxalement au commandement militaire de reprendre la main au terme d’un long processus devant mettre en place un système de rechange. Un quasi-retour à la case départ. Mais pour quel nouveau départ !

Par Hacen Ouali ( Source El-Watan)

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