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pict0258pwIntellectuel, Hacène Hirèche est très connu dans les milieux de la culture amazighe. Il enseigne Tamazight à l’université Paris 8. Il fait partie des initiateurs de la pétition qui vient d’être lancée pour la reconnaissance de la langue amazighe comme langue officielle dans la prochaine Constitution. Dans cet entretien, il explique pourquoi cette pétition est lancée. En même temps, il revient sur de nombreux aspects liés au printemps berbère, à la situation actuelle de la langue amazighe et à son avenir.

Peut-on savoir comment est née l’idée de lancer une pétition pour la reconnaissance de la langue amazighe comme langue officielle et pourquoi avoir choisi ce moment précisément ?


C’est un petit groupe d’universitaires et de militants de diverses sensibilités politiques qui en est à l’origine. Au départ, il s’agissait de réfléchir à une action autour du 20 avril. Nous voulions contribuer comme tant d’autres à marquer cette date devenue journée-symbole contre la répression et pour la promotion de tamazight aussi bien en Algérie que dans les pays voisins et bien sûr dans les pays d’émigration comme la France ou le Canada. Il nous a semblé utile de lancer une pétition parce que celle-ci permet à chacun de s’impliquer, de là où il est, en marquant son accord pour l’officialisation de notre langue. Nous sommes, en effet, dans une situation absurde. Une langue autochtone exclue dans son propre pays, tandis que s’y développent des langues d’importation.

 

S’agit-il d’une première initiative du genre, ou bien y a-t-il eu déjà des actions similaires dans le passé ?


Nous avions, dans les années 1980, interpellé les autorités de l’époque à travers de nombreuses pétitions signées notamment par de grands intellectuels algériens et français, des militants des droits de l’Homme et des syndicalistes. Ces pétitions touchaient à la langue et à la répression que subissaient les acteurs du Printemps amazigh. Donc, ce n’est pas nouveau mais ça reste d’actualité d’autant plus que le pouvoir vient d’annoncer la révision de la constitution. Il faut donc nous mobiliser au plus vite cette fois et imposer notre langue dans un texte qui protège les droits fondamentaux de tous les citoyens. La politique du premier et du second collège est d’un autre âge. Le statut de sous-algérien imposé aux Amazighophones et Amazighophiles doit être aboli à jamais ! Seule une mobilisation populaire peut faire changer la donne.

 

Que pourra apporter de plus une telle décision en faveur de tamazight ?


Un grand changement de cap, une véritable révolution : accéder à un droit élémentaire dont on aurait jamais dû être privé! L’Algérie se réconcilierait avec elle-même, les Algériens sortiraient de la situation mensongère et schizophrénique dans laquelle les tenants du pouvoir les ont plongés depuis 1957 avec l’assassinat d’Abane Ramdane, tête pensante du combat indépendantiste.

 

En Algérie, tamazight est langue nationale depuis 2003. Concrètement, quelle est la différence entre le fait qu’une langue soit « seulement » nationale et quand elle est nationale et officielle. Autrement dit, le fait d’être une langue officielle, c’est quoi de manière palpable ?


De manière palpable, tamazight langue officielle va déjà se retrouver sur des registres symboliques : la monnaie, les frontons des institutions, les pièces d’identité, les tires de voyage, etc. A moyen et long termes, elle s’installera progressivement dans les institutions et son enseignement doit devenir obligatoire à tous les paliers. Le fossé qui existe aujourd’hui entre le peuple, son histoire et ses institutions laissera alors la place à un continuum réparateur. L’Algérie ne sera plus vassale des pays du Golf, elle sera fière d’elle-même et pourra jouer un rôle-clé dans la construction d’une Union nord africaine.

 

Nous allons célébrer le trente-troisième anniversaire du Printemps berbère dans quelques jours. L’un des bilans qui peut être établi est, entre autres et sans conteste, le fait que le fleuve de l’amazighité a été vraiment détourné par une bonne partie des artisans du même Printemps berbère. Certains s’en sont servis pour faire de la politique, d’autres pour s’enrichir, etc. Quel commentaire pouvez-vous faire au sujet de ce constat ?


Dans tout mouvement social et dans toute révolution, il se trouve des acteurs qui baissent les bras, des acteurs qui rejoignent le groupe dominant, d’autres qui en profitent pour s’incruster dans l’ascenseur social. Mais gardons-nous bien de généraliser. C’est une minorité qui cède aux sirènes de la facilité et de l’appât du gain. Une majorité continue de se battre et beaucoup d’acteurs s’échinent à utiliser les marges de manœuvre qui sont les leurs pour activer comme ils peuvent, là où ils peuvent. C’est sur les actes que l’on juge les hommes et non sur leur étiquette. Ceux qui se retrouvent contraints de vendre leur âme pour un droit à une place dans leur pays sont, quelque part aussi, des victimes. Il est évident qu’ils travaillent dans une humiliation et avec des blessures permanentes. Ils s’en remettent à des féodaux dont ils subissent quotidiennement une violence symbolique dévastatrice. Ceci dit, se situer hors des institutions n’est pas toujours, non plus, un gage de probité. Certains jouissent de privilèges hors normes que n’ont pas tous les commis de l’Etat. Quelques, je dis bien quelques, nouveaux riches sont encore plus nuisibles à la société et leurs biens sont souvent mal acquis. Certains groupuscules aussi passent plus leur temps à dénigrer ce qui se fait et à se mettre en scène qu’à faire un travail utile et durable. Il faut savoir distinguer le bon grain de l’ivraie et encourager ceux qui œuvrent dans le bons sens et ils sont très nombreux.

 

En même temps, on ne peut pas nier que c’est grâce à ce printemps berbère que les choses ont commencé à bouger en Algérie et à prendre une autre tournure. Quel est l’apport des événements de 80, concrètement aussi ?


J’ai déjà eu l’occasion de parler de cet apport. Pour le dire vite, disons que le Printemps amazigh a contribué de façon décisive à sortir l’Algérie du régime militaro-policier qui l’enserrait dans ses griffes. Ce printemps a fait germer des révoltes à Oran, à Constantine en 1982-83. Je me souviens que Maître Mokrane Aït Larbi m’avait fait parvenir une liste de prisonniers constantinois pour alerter l’opinion internationale, ce que nous avions fait. Ce Printemps a donné aussi naissance à la Ligue algérienne des droits de l’Homme présidée par Maître Abdennour Ali Yahia autour de laquelle s’est faite une grande mobilisation populaire en 1985-87. Avril 80 a été le ferment de la révolte d’octobre 1988 et du printemps noir de 2001 avec a leurs lots de souffrances et d’espoir. Le Printemps Amazigh a donné aussi le signal des printemps qui ont fait irruption en Tunisie et en Egypte et qui, à leur tour, ont déteint sur le reste du monde. Je connaissais des militants tunisiens et marocains des droits de l’Homme à Paris et je me souviens combien ils étaient admiratifs du travail fait autour du Printemps berbère comme on l’appelait en ce temps là. Ils ont intégré l’idée qu’aucun régime, fusse-t-il le plus despotique, ne peut bâillonner définitivement son peuple. Il faut rappeler que la Kabylie s’est soulevée en même temps que le mouvement ouvrier de Gdansk en Pologne, mais nous n’avions pas l’aide qui fut apportée par l’Europe et les USA au syndicat Solidarnosc. Nos leaders de l’époque étaient ignorés par les médias occidentaux qui concentraient toute leur énergie à soutenir Lech Walesa ! Tout cela, les jeunes de chez nous doivent le savoir.

 

Ce n’est qu’après l’année du boycott scolaire, en 1995, que tamazight a gagné réellement des espaces institutionnels. Pensez-vous que l’enseignement de tamazight est la mesure la plus importante qui ait été prise pour la réhabilitation de la langue et culture amazighe ?
Je pense que le pouvoir n’a fait que prendre des mesurettes ! Il a l’habitude de retirer d’une main ce qu’il a cédé de l’autre. Oui, le peu d’enseignement qui existe est toujours un acquis, mais gardons-nous bien qu’il ne soit pas l’arbre qui cache la forêt.

 

Après la même action de grève scolaire, une institution, le Haut commissariat à l’amazighité a été créé en 1995, suivi quelques années plus tard du Centre national pédagogique et linguistique pour l’enseignement de tamazight. Ces deux institutions ne remplissent pas la mission qui est la leur compte tenu de plusieurs raisons, dont la principale est leurs prérogatives très limitées. Quelle appréciation en faites-vous ?


J’en retiens que les bonnes volontés des hommes engagés dans ce processus ne suffisent pas. C’est de la responsabilité de l’Etat de leur donner les moyens pour promouvoir cette langue de nos pères, de nos ancêtres. Or, il les entrave dans leur action. Restons constamment vigilants, ne nous contentons pas de la politique des miettes.
La reconnaissance de tamazight comme langue nationale et une éventuelle reconnaissance comme langue officielle sont des armes à double tranchant. Certes, au plan de la symbolique et politique il s’agit d’acquis incommensurables, voire révolutionnaires. Mais en même temps, le manque de moyens mais surtout l’absence de compétences se répercute de manière très négative sur ce processus de promotion de l’amazighité.

 

On a l’impression qu’on est en train de reproduire les mêmes erreurs que celles ayant émaillé l’arabisation massive au lendemain de l’indépendance. Etes-vous de cet avis ?


Oui et non. J’estime que la comparaison avec l’arabisation ne peut pas tenir. Lorsque l’arabe standard a été imposé aux Algériens, aucun d’eux ne le revendiquait et aucun d’eux ne le parlait. L’arabe standard ne provoque aucune résonance émotionnelle. Il est froid parce qu’il est l’émanation non pas d’un peuple mais d’une poignée d’idéologues dogmatiques et vassaux du nassérisme. Ce n’est pas le cas de tamazight. C’est la langue de millions d’Algériens, elle est revendiquée par une large partie de ses locuteurs et elle est inscrite dans l’inconscient collectif de tous les autres. Il ne faut pas perdre de vue que c’est la langue de nos ancêtres et qu’à ce titre elle est en symbiose avec nos rituels, nos émotions, nos croyances collectives, etc. Pour peu qu’il y ait une volonté politique, des moyens seront actionnés, des enseignants formés et des facteurs de résiliences surgiront alors pour aider à réparer les dommages subis par notre langue et ses locuteurs.

 

Ces dernières années, pour de multiples raisons, l’engouement de la population, notamment celle de Kabylie, a sensiblement baissé à l’égard de tamazight. Cette dernière, qui était un élément de fierté, y compris à l’époque du parti unique, ne l’est plus actuellement, constate-t-on. En Kabylie, et plus particulièrement dans les villes, des parents n’hésitent pas à faire apprendre le français comme première langue à leurs enfants. On le constate surtout dans les crèches, dans les écoles privées et dans les familles dont les parents sont d’un niveau d’instruction assez élevé ainsi que chez des familles relativement riches matériellement. A quoi imputez-vous ce phénomène ?


Les raisons à cela sont multiples, je ne peux qu’en donner quelques pistes. Le premier élément est sans doute que l’Etat ne la prenant pas en charge, cette langue n’a pas de lien direct avec les processus d’ascension sociale et, du coup, elle se trouve dévalorisée aux yeux mêmes de certains de ses locuteurs. Le second élément, corollaire du premier, est que nous sommes entrés dans une société consumériste. Alors, les besoins immédiats de consommation prennent le dessus sur les besoins psychologiques plus profonds, plus vitaux, plus à long terme. On se retrouve comme dans une course effrénée, il faut parer au plus pressé. Ni le français, ni l’arabe standard ne peuvent répondre aux besoins liés à nos affects. Tamazight est indispensable à l’équilibre de l’enfant et cela ne l’empêchera pas de s’approprier les autres langues. Bien au contraire, c’est la maitrise de sa langue émotionnelle qui l’aidera à progresser plus vite dans les langues étrangères. C’est pourquoi, nous sommes déterminés à faire de tamazight une langue officielle dans la nouvelle constitution et que nous appelons tous les Algériens à signer la pétition que nous proposons à cet effet.


Entretien réalisé par Aomar Mohellebi

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