Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Tous les rapports diplomatiques français «confidentiels ou fuités», depuis une vingtaine d’années, sont unanimes à dire que les relations d’Etat entre l’Algérie et la France ne pourront évoluer qu’«après le passage de flambeau» entre la génération de Novembre 54 et celle de l’après indépendance de l’Algérie !

Après que l’on ait tenté toutes les ficelles diplomatiques de qualification de langage de ces relations, telles que le «ressourcement», la «refondation», l’«alliance stratégique», les «relations apaisées», «le partenariat d’exception», «la convention de partenariat», nous nous retrouvons devant une impasse qui persiste et les dernières déclarations fracassantes et maladroites de Bernard Kouchner, ex-ministre des Affaires étrangères, n’ont fait qu’exprimer une réalité à peine camouflée.

En son temps, cette intervention avait fait couler beaucoup d’encre mais n’en reflétait pas moins la position officielle de l’Etat français et celle de la classe politique française du moment, de droite comme de gauche, qui la soutenait formellement ou informellement.

Dès lors, le problème auquel sont confrontés les deux pays, plus actuellement qu’antérieurement, c’est le «non renouvellement de la classe boulitique algérienne», à l’inverse de ce qui s’est passé en France c’est vingt dernières années.

En effet, après le départ à la retraite de Jacques Chirac, pratiquement plus aucun homme politique d’importance, en France, ne dépasse la moyenne d’âge de la cinquantaine et ceux qui l’ont dépassée n’avaient pas l’ambition de briguer un autre mandat national ou international.

Comparaison n’est pas raison, me diriez-vous ! C’est absolument vrai, mais il nous est permis d’observer et d’analyser le processus de renouvellement de la classe politique française et algérienne, dans toutes les institutions et les organisations des deux Etats respectifs. S’agissant d’un régime présidentiel, quasi copié sur celui de la France, (versus V République), les présidents de la République sont la clé de voûte de l’Etat dans les deux pays, ce qui fait dire, non sans raison, à certains qu’il s’agit d’une «monarchie républicaine».

Pour ne pas remonter à l’indépendance où, à peu près, les mêmes générations se côtoyaient, notre réflexion démarre donc à l’avènement du président Abdelaziz Bouteflika, qui, désigné président, en 1999, après la démission énigmatique et spectaculaire du président Liamine Zéroual à mi-mandat, va trouver, en face de lui à l’Elysée, le président Jacques Chirac élu, en 1995, contre toute attente.

Le président Jacques Chirac, né le 29 novembre 1932 à Paris (5e), est l’aîné d’Abdelaziz Bouteflika, né le 2 mars 1937 à Oujda (Maroc). Tous deux embrassent des carrières politico-militaires, le premier, après sa formation à l’Ecole de la cavalerie de Saumur, va s’engager comme volontaire au 11e puis au 6e régiment de chasseurs d’Afrique à Souk El Erba (département de Tlemcen).

Puis, à sa sortie de l’ENA en 1959, il est détaché auprès de la direction générale de l’agriculture en Algérie, jusqu’en avril 1960. Le second va rejoindre, en 1956, les rangs de l’«armée des frontières» en Wilaya V, où il va s’arrimer au colonel Mohamed Boukharouba, alias Houari Boumediène, qu’il va suivre jusqu’à l’indépendance et jusqu’à sa mort en 1979, occupant, pratiquement sans interruption, plusieurs portefeuilles ministériels, dont celui, prestigieux, des Affaires étrangères.

Reste qu’Abdelaziz Bouteflika est sans doute le dirigeant algérien qui connaît le mieux les autorités françaises, pour avoir rencontré, en tant que chef de la diplomatie algérienne, les présidents Charles de Gaulle, Georges Pompidou, Giscard d’Estaing et en tant que chef d’Etat, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande, Emmanuel Macron…

Peut-on, à cet endroit, parler de la même génération, traversée par un parcours historique semblable dans un espace très rapproché ? Certainement oui, bien que des itinéraires spécifiques sont également réels mais dans un environnement quasi identique et en même temps contradictoire voire antagonique !

Es-ce-que le «facteur générationnel» du couple présidentiel, Jacques Chirac-Abdelaziz Bouteflika, durant cette période longue de plus de huit ans, va favoriser le rapprochement des points de vue des deux pays et catalyser le règlement les contentieux multiformes hérités par les deux pays ?

Va-t-il augmenter les opportunités de réalisation de ponts féconds d’intérêts politique, économique, culturel, sécuritaire, convergents ? Ou bien, ce «facteur générationnel» a-t-il davantage creusé le gouffre des incompréhensions, utilisant le mémoriel comme arme de chantages réciproques, livrés à la vindicte populaire des deux pays ?

Force est de constater que durant cette période et après une entrevue qu’il a eue avec Jacques Chirac, en 2003 à Alger, une entente pour la signature d’un traité d’amitié entre les deux pays sera annoncée, l’Algérie commençant à sortir progressivement de la «décennie noire».

Mais le vote de la loi du 23 février 2005 par le Parlement français reconnaissant le «rôle positif de la colonisation» annulera la signature de ce traité, l’Algérie qualifiant cette loi de «cécité mentale, confinant au négationnisme et au révisionnisme», même si Jacques Chirac refusera de la signer en l’état.

Cependant, le président Abdelaziz Bouteflika va déjà montrer ses premiers problèmes de santé, à la France entière, puisqu’il sera admis au Val-de-Grâce le 26 novembre 2005, où il est officiellement opéré d’un ulcère de l’estomac.

Ainsi donc, une évolution en dents de scie va continuer à toujours marquer nos relations bilatérales. A des périodes de «lune de miel» vont se succéder d’autres de «guerres froides» à peine voilées, tant sur le plan bilatéral que sur celui multilatéral, ce qui va jeter une suspicion généralisée sur tous les actes commis par l’un ou l’autre des deux pays !

Ce prisme de lecture, qui dure et perdure, depuis d’indépendance de notre pays, va bloquer toutes les initiatives et les dynamiques de dépassement de ce nœud d’étranglement relationnel, en même temps qu’il va profondément diviser les opinions publiques des deux pays, attisées par des préoccupations égocentriques et ou électoralistes des classes dirigeantes, pour entretenir une cuisine de politique intérieure.

Les abysses générationnelles vont s’élargir un peu plus dès l’arrivée du président Nicolas Sarkozy de Nagy-Bocsa, dit Nicolas Sarkozy, né le 28 janvier 1955 à Paris (18e), cadet de plus de dix-huit ans du président Abdelaziz Bouteflika. Complètement fermé à la «chose mémorielle» et entièrement versé sur celle du «business», son parcours personnel, lui ayant ouvert la voie d’avocat d’affaires, Nicolas Sarkozy va tenter de «déchirer les pages du passé commun», avant d’être remis à l’ordre, tant dans son pays que par l’Algérie.

Les quelques approximations qu’il va tenter, lors de ses déplacements en Algérie, vont montrer et démontrer, qu’à bien des égards, il n’entendait pas être «chahuté» dans sa politique étrangère par une Algérie qui ne lui obéissait pas «au doigt et à l’œil», à l’instar des pays maghrébins voisins.

A titre d’exemple comique, on peut citer le projet fumeux de l’UpM qui va le mener au summum du ridicule, avec son faux ministre des Affaires étrangères (Bernard Kouchner) et son vrai ministre (Bernard Henri Lévy), un certain 13 juillet 2008, sur le perron de l’Elysée avec un feu d’artifices époustouflant, alors que l’Algérie privilégiait l’approche dite 5+5.

C’est pourtant durant le mandat de Nicolas Sarkozy que la Constitution algérienne, verrouillée par Liamine Zeroual à deux mandats, va être «déverrouillée» pour permettre à Abdelaziz Bouteflika de se faire désigner président, une troisième fois et d’ouvrir la voie à une «présidence à vie» qui ne disait pas son nom.

Le président français va prendre acte de cette «décision de souveraineté du peuple algérien» et faire main basse sur de juteux contrats (entre autres, le métro et l’aéroport international d’Alger), pour les entreprises publiques et pour les entreprises privées et ses amis (Total, Vincent Boloré), dans un contexte international violemment ébranlé par la crise du système monétaire et financier international, à partir de 2008.

Que dire de l’arrivée de François Hollande (candidat de la gauche), né le 12 août 1954 à Rouen, son cadet de dix-sept ans et qui, en 1978, va effectuer son stage de première année à l’ENA à l’ambassade de France en Algérie, alors que le président Abdelaziz Bouteflika régnait en maître sur le ministère des Affaires étrangères, «sous le burnous» du président Houari Boumediène !

Ayant vécu la période du retour des socialistes au pouvoir en France en 1981 (avec François Mitterrand), il était parfaitement au courant des détails du «dossier algérien» et de sa sensibilité réciproque, d’autant que les négociations sur les prix du gaz algérien vont aboutir à un «prix politique contre des contrats juteux», comme le claironnaient les médias français !

Mais un événement majeur va se produire le 27 avril 2013, lorsque le président algérien est hospitalisé au Val-de-Grâce, à la suite d’un premier AVC. Il subira, le 31 mai, un second AVC qui va lui paralyser le côté gauche et, après 80 jours de rééducation et de soins intensifs, il regagnera l’Algérie sur un fauteuil roulant et avec de sérieuses séquelles physiques apparents…

Dès lors, François Hollande joue sur du «velours» et se permettra de nous laisser cogiter, durant le reste de son mandat, sur le concept de l’«alacrité», pour consolider le statu quo de nos relations et amuser la galerie, lui qui est un grand amateur de boutades. Pendant ce temps, les relations algéro-françaises s’enfonçaient dans les labyrinthes de l’incompréhension, faute d’avoir un pouvoir incarné par une seule personne qui décide en Algérie.

Durant cette période, notre pays va enregistrer un gonflement artificiel de ses réserves de change, ce qui va augmenter ses marges de manœuvre vis-à-vis de la France et lui permettre de ne plus émarger aux «lignes de crédit fournisseurs» françaises qui avaient pour habitude de remplir les carnets de commandes des entreprises françaises et qui étaient considérées, en Algérie, comme une aide précieuse du partenaire français ! Entre devoir de reconnaissance (pour son hospitalisation) et la frénésie affairiste, la topographie bilatérale verra s’ouvrir, dès alors, une période de surenchères incontrôlée…

Lorsque celui que personne n’attendait à l’Elysée arrive au pouvoir, le président Abdelaziz Bouteflika est âgé de 80 ans et en est à son 4e mandat (près de vingt ans). Son état de santé laisse apparaître des déficiences physiques visibles et des handicaps intellectuels observables. Emmanuel Macron est né le 21 décembre 1977 à Amiens et devient, à 39 ans, le plus jeune président français et dirigeant du G20.

L’écart générationnel entre les deux présidents n’est plus d’une ou deux générations, mais de quatre générations (42 ans de différence). Dans le scénario où Abdelaziz Bouteflika se représente pour un autre mandat de cinq ans, avec une «réélection» certaine, il restera au pouvoir jusqu’en 2024 et Emmanuel Macron risque, s’il n’est pas réélu, de quitter le pouvoir en 2022 !

Mais d’emblée, Emmanuel Macron, en visite à Alger, annonce la couleur sur le dossier mémoriel : «Pour la réconciliation des mémoires», mais «ni déni ni repentance». Pour le reste, il va progressivement abattre ses cartes par un intermédiaire qui connaît parfaitement le dossier de nos relations bilatérales.

C’est dans ce cadre qu’il faut analyser les déclarations de Bernard Bajolet relatives à la «momification du pouvoir algérien qui sert certains groupes qui, ainsi, se maintiennent au sommet et espèrent continuer à se maintenir et à s’enrichir» !

Cette intervention inhabituelle de la part d’un diplomate français, à la retraite, prend tout son sens en termes de conflit de génération. Ce personnage missionné est-il informé de la situation réelle de la santé du président algérien ?

Qui pourrait-il affirmer le contraire, après avoir lu ses états de service ! Sur ce dossier sensible, il dira, sans sourciller : «… Le président Bouteflika, avec tout le respect que j’éprouve pour lui, est maintenu en vie artificiellement et rien ne changera dans cette période de transition», puis ajoutera, perfide :

«… Soyons clair. Je souhaite longue vie au président Bouteflika, je ne suggère donc pas qu’on le débranche.» Maîtrise-t-il, comme ambassadeur en Algérie (2006-2008), les mœurs algériennes en matière d’économie et de finances ? Tout en perfectionnant sa connaissance de la langue arabe, il va pénétrer au cœur du business dans notre pays. Il déclarera, sans équivoque : «Je fus pris de vertige par les sommets que la corruption avait atteint, touchant jusqu’à la famille du chef de l’Etat.»

Bernard Bajolet devient, dès lors, sentencieux : «C’est une question qui dépasse les relations humaines, c’est une question politique. Bien sûr, la France est extrêmement attachée à la stabilité et à la prospérité de l’Algérie, c’est pour nous un objectif important… Mais la stabilité ne signifie pas l’immobilisme !» La vingtaine de pages consacrées par son livre à l’Algérie sont-elles fortuites ?

Certainement pas ! Elles ont eu, à la virgule près, l’aval de l’Elysée, l’enjeu est trop important pour laisser place à l’improvisation. Observateurs avertis, on pourrait dire : no comment ! Mais la signification de cette phrase et son poids sont si lourds dans l’analyse et l’avenir des relations entre nos deux pays que l’on ne peut pas la minimiser.

En effet, ce commis de l’Etat désigné considère que pour les intérêts – biens compris – de son pays, la France doit aider l’Algérie afin qu’elle enclenche elle-même un «processus de changement de génération» avant qu’une déflagration ne vienne emporter l’Algérie dans l’inconnu, avec toutes les implications sur tous les pays de la région et en particulier de la France.

Certains n’hésiteront pas à parler de «droit d’ingérence pour peuple en danger» cher à Bernard Kouchner et consorts. D’autres afficheront le fait qu’il s’agit d’une «ingérence dans les affaires internes de notre pays». Peu importe les différentes interprétations, la position officielle de la France est celle de Bernard Bajolet et non celle de l’ambassadeur en poste et elle est très claire.

Elle combine à la fois un vœu et une menace, puisqu’elle souhaite que la génération de l’actuel président et lui inclus, «passent le témoin» aux autres générations. Mais elle fait également miroiter à la génération de Novembre que dans le cas contraire, elle pourrait être plus regardante sur les biens mal acquis sur le territoire français et même ailleurs de cette génération, le président inclus !

On comprend donc mieux pourquoi Bernard Bajolet a été choisi pour faire passer le message ; en effet, il incarne la diplomatie, en proposant le vœu de changement de génération mais également la menace en tant qu’ancien patron de la DGSE, détenteur des «dossiers» de la classe boulitique algérienne et de leurs enfants.

Pour être juste, dans ce jeu d’ombres chinoises, ce «deal politique» interne avait été proposé, en son temps, par Mouloud Hamrouche, mais malheureusement pour lui, à cette époque, le baril de pétrole avait atteint 120 dollars et cette proposition est passée à la trappe.

Des observateurs algériens avertis avaient également attiré l’attention du pouvoir sur l’impasse dans laquelle il s’enfermait, à longueur de colonnes ; cependant, s’agissant d’Algériens, leur parole ne comptait pas mais celle de Bernard Bajolet aujourd’hui fait mouche et prend une valeur de vérité vraie. Quand l’Algérie va-t-elle enfin faire confiance à ses enfants ?

Par Mourad Goumiri (Source El-watan)

Tag(s) : #info direct
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :