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«Le premier engagement d’un artiste est de bien faire son travail»
 
Ouvert et spontané, l’humour à fleur de mots, le chanteur Ali Amrane revient dans cet entretien, presqu’à bâtons rompus, sur son itinéraire, son engagement poétique et politique et sur tout ce qui a forgé sa vision du monde. Un univers qui transparaît, en filigrane, dans les textes chantés de ses différents albums. L’humilité est le trait qui frappe, d’emblée, lorsqu’on approche ce jeune chanteur dont la notoriété et le talent sont déjà reconnus par des monstres sacrés de la chanson kabyle comme Idir et Lounis Aït Menguellet pour qui ce dernier a tressé des lauriers, en le gratifiant du très glorieux titre «d’héritiers, avec mon fils Djaâfar, de ma musique».

Le Soir d’Algérie :
Une question bateau, pour commencer. Comment Ali Amrane est-il venu à la chanson ?
 

  Ali Amrane : (Rires) C’est une question qui revient souvent mais à laquelle on a quelques difficultés à répondre. Les choses se sont passées naturellement. Mais c’est un processus d’apprentissage qui n’a rien de conventionnel puisqu’à la base. Je n’ai pas eu la chance de fréquenter une école de musique ou un conservatoire. Il y a d’abord le fait que je me sois forgé une oreille dès mon enfance. Je me souviens, qu’étant enfant, j’aimais fredonner les chansons que j’écoutais à la radio. Cela m’a permis de me forger une oreille musicale, un feeling qui me permet de capter des émotions. De fil en aiguille, quand j’ai commencé à jouer de la musique, j’ai essayé naturellement de reprendre les airs que j’affectionnais et que j’ai emmagasinés dans ma mémoire. 

Il y a, bien sûr, tout un stock d’influences musicales, des chanteurs qui ont contribué à la formation de ton univers musical et orienté ton inspiration...
Il va de soi que des empreintes et des influences musicales se retrouvent en chacun de nous. Et il arrive que cela ressorte d’une manière ou d’une autre, sans que l’on s’en rende compte. J’ajouterai que la musique est aussi affaire d’apprentissage, d’éducation qui aboutit à la formation d’un goût, d’une esthétique. Pour résumer et pour revenir à mon cas, la musique kabyle et la musique occidentale, en général, avec ses différents styles et, en particulier, la musique anglo-saxonne, sont les deux pôles d’influence qui ont, en grande partie, façonné mon univers musical. Ce sont ces empreintes là que j’essaie de fusionner pour créer un style et un tempo qui me sont propres et qui caractérisent mes créations musicales et mes compositions.

C’est ce qui explique votre penchant pour les reprises, les remixes des standards de la chanson kabyle...
 
Non, pas vraiment, il n’y a pas de choix préétabli et prémédité dans ce sens. D’ailleurs, je n’ai commencé à faire des reprises qu’à partir de mon troisième album, c'est-à-dire huit années après Amesevrid, mon premier album qui est sorti en 2001. C’est seulement en 2009, dans Akka idamur que j’ai fait trois reprises. Cela étant, je ne me souviens pas avoir reçu de critiques à ce sujet, bien au contraire, je crois savoir que les gens ont beaucoup apprécié les arrangements et l’habillage musical que j’ai apportés à ces reprises. J’estime que c’est tout à fait une autre approche de ma part et qui me paraît une démarche novatrice dans l’écriture et l’arrangement des titres que j’ai repris et qui étaient interprétés dans le style chaâbi. Des chansons que j’ai réinterprétées à ma façon, en leur donnant un habillage instrumental moderne, en introduisant des sonorités nouvelles et actuelles, rock, pop, etc. En clair, j’ai donné une touche personnelle à des chansons interprétées selon des modes propres au répertoire classique (chaâbi), un style qui a sa structuration particulière et ses propres règles et qui n’a pas fait l’objet avant moi de reprises par la vague de chanteurs qui font de la musique moderne. Ce qu’il faut savoir aussi c’est que ce ne sont pas les mélodies et les chansons qui font le style mais bien la façon dont on les interprète.

Dans Tizi Leryah, ton dernier album sorti au mois de mai dernier, tu as rompu avec cette démarche, on ne retrouve que des compositions personnelles...
 

  Oui, en fait, ma démarche originelle, c’est celle-là. Même si les reprises que j’ai faites ne sont pas passées inaperçues, cela me réconforte dans l’idée que mon choix était tout à fait pertinent.

Tu as dû aussi réveiller des nostalgies, en reprenant Hssissène, cheikh Arav Bouizgarène...
Sans doute, mais c’est surtout pour la nouvelle approche et le travail sur la musique.

Idir a fait un duo avec toi et Aït Menguellet a déclaré sur le journal Libération : «Mon fils Djaâfar et Ali Amrane sont les légataires universels, les héritiers de ma musique.» Plus qu’une reconnaissance, c’est une consécration de la part de ces deux monstres sacrés de la chanson Kabyle...
 
Et comment ! C’est un grand plaisir que d’être reconnu par de grands chanteurs comme Idir et Aït Menguellet. Karim Abranis m’a aussi invité à chanter avec lui sur son dernier album. Je reçois beaucoup de témoignages de reconnaissance de la part de mes aînés. Cela flatte et me réconforte, surtout, dans ce que je fais.

La reconnaissance de ses pairs suffit-elle à forger la notoriété d’un chanteur. Est-ce un gage de reconnaissance du grand public ?
 
Non, je ne le pense pas. C’est surtout le réconfort et l’assurance qu’on acquiert quand on est sur le bon chemin et quand on fait du bon travail. Cette reconnaissance ne vous garantit pas, de facto, le soutien et la reconnaissance du grand public.

Justement, as-tu le sentiment que le grand public a adopté Ali Amrane ?
Oui, je pense qu’il y a de plus en plus de gens qui me suivent et qui écoutent ma musique. Je ne peux pas quantifier, évaluer le nombre de gens qui s’intéressent à mon travail, mais quand on fait de la musique, c’est important de savoir qu’on est écouté et qu’on est suivi par le plus grand nombre.

Tizi Leryah, ton dernier album, a-t-il été bien reçu par le public ? As-tu reçu des échos sur le succès commercial de ton CD ?
 

  Oui, j’ai eu des échos positifs de la part de nombreux disquaires. Je pense qu’une bonne partie du public a été séduit par la qualité du travail. 

Tu es flatté qu’on dise de toi que tu es le porte-drapeau de la nouvelle vague de la chanson kabyle et algérienne ?
 

  (Rires…) Si on le dit, c’est bien. En tout cas, c’est aux observateurs et aux critiques de le dire. Je crois que mon travail a ouvert la voie, des perspectives, j’ai l’impression que mon travail a ouvert la voie à beaucoup de jeunes artistes qui vont dans le même sens de ce que je fais. Cela me fait, bien entendu beaucoup plaisir. Quant à dire que je suis le porte-drapeau, c’est aux observateurs, à vous journalistes de le dire. Quant à parler d’un style, d’un label estampillé Ali Amrane, là, je ne risque pas de choquer en répondant par l’affirmative, même s’il est présomptueux d’émettre un tel jugement sur moi car il appartient aux 
critiques et aux spécialistes de l’affirmer. Malheureusement, chez nous, nous manquons de revues et de publication spécialisées auxquelles échoit le rôle d’émettre de tels jugements. Toutefois, j’estime qu’il existe un style Ali Amrane qui transparaît, en tout cas, dans les reprises que j’ai faites de certaines chansons du patrimoine kabyle. Ces reprises que l’on peut qualifier de nouvelle version montrent que mon travail a une identité particulière, un label. Assurément, il y a un style Ali Amrane.

Sur la thématique que tu as abordée dans ton dernier album, dans Tizi Leryah, se dégage une atmosphère que l’on peut qualifier de noire, si l’on juge par la récurrence de certains vocables qui évoquent le pessimisme, la désillusion, la perte de volonté et de motivation, le sentiment d’inutilité et de désespoir.
Une sorte de spleen romantique qui caractérise ta poésie ?
 

  Tout à fait, il y a beaucoup de spleen. Contrairement à mon précédent album où j’ai développé certaines idées portant sur l’immigration et l’exil. Dans ce dernier album, je me suis lâché. On peut parler d’une atmosphère que je qualifierai plutôt de sombre. Les situations décrites, les personnages mis en action peinent à donner un sens à leur existence. Ils sont prisonniers de leur conditions et d’une situation historique qui les dépassent où se greffent un tas de petites choses imposées par les contingences socio-politiques et de la vie en général. Je pense, par exemple, à la corruption, aux passes-droits, au chômage des jeunes, au vide sentimental… Un tas de sujets que j’ai évoqués dans certaines chansons et qui font que les personnages décrits sont comme pris dans une spirale qui leur donne l’impression de faire du surplace, tenaillés qu’ils sont par un sentiment d’inutilité et de mal être. Sur le plan politique, il y a une certaine désillusion, de désenchantement qu’inspirent l’absence de perspectives, les combats inaboutis, par l’espoir sans cesse ajourné de changement qui était la quête de toute une génération. 

Dans une chanson, tu ne manques pas de faire de l’humour et de la dérision. A quoi répond ce choix ?
 

  Oui, il s’agit d’une fable sur la misère sexuelle que j’ai évoquée sur un ton sarcastique et drôle. Il y a trois ou quatre chansons dans cet album où j’essaie de mettre le doigt sur des sujets qui font débat dans notre société comme la banalisation de la violence, la sexualité, la condition de la femme…

Tu cherches à sublimer quoi à travers la tristesse, la mélancolie et le spleen qui enveloppent tes chansons ? C’est juste le regard existentiel du poète sur sa société ou y a-t-il place à une sorte de thérapie personnelle ?
 

  Non, rien de personnel. C’est un regard sur le monde et la société. Cela n’empêche pas qu’il y ait des références à une réalité introspective. De toutes les manières, le malaise, la douleur que j’exprime n’a rien de personnel, elle émane de moi en tant qu’être humain. J’essaie d’exprimer un malaise qui n’a rien de personnel, c’est un sentiment général que j’essaie de traduire à travers mes chansons. Mon regard émane de moi-même d’abord en tant qu’être humain, il y a ensuite le point de vue de l’artiste et du créateur. Mais il y a aussi le poids de mon expérience personnelle, des valeurs que je porte en moi et que j’ai défendues à un moment ou un autre de mon parcours. C’est tout ce pathos que j’essaie de traduire de façon artistique, dans mes chansons. C’est ce qui fait la spécificité de l’artiste et qui lui donne la capacité de dire et d’être interpellé par ce qui se passe autour de lui. La notion de sublimation, si sublimation il y a, s’arrête à ce niveau-là. Celui de l’expression artistique et poétique. 

Restons un peu sur cet aspect lié à la vision du monde, peut-on dire qu’Ali Amrane est un chanteur engagé ?
 

  Oui, d’une certaine façon, dans le sens de dénoncer des choses, de réagir à ce qui se passe autour de soi, mais à travers mes chansons, je ne suis pas dans l’action, je ne tiens pas un discours politique. Pour moi, le premier des engagements en tant qu’artiste est de faire du bon travail et d’être honnête avec soi-même et son public. 

La Kabylie et les valeurs défendues par toute une génération que tu as accompagnée en tant qu’étudiant, la nostalgie de la vie estudiantine à Hasnaoua reviennent comme un leitmotiv dans tes chansons…
 

Oui, c’est vrai. Ce n’est pas seulement par nostalgie. La Kabylie fait partie de moi-même. Les valeurs et les combats menés par les élites de cette région ont contribué à mon émancipation et à mon éveil politique et intellectuel. C’est cet univers-là qui a forgé ma vision du monde et qui a fait de moi ce que je suis aujourd’hui. D’autant plus que la Kabylie a été à la pointe de tous les combats d’avant-garde pour la démocratisation et la modernisation de la société algérienne. 

Beaucoup de nostalgie et des regrets dans ton propos et dans tes chansons lorsque tu évoques cette période récente de l’histoire...
 

  Oui, il y a, malheureusement, un immense désespoir, une désillusion face au blocage historique dû à l’inaboutissement des combats de toute une génération.

Les projets d’Ali Amrane... 
 

  Je viens de terminer le tournage d’un film avec Belkacem Hadjadj. Je me suis beaucoup investi dans le tournage de ce film où je tiens un rôle qui me plaît d’une espèce de barde, de poète errant. C’est un travail qui m’a pris beaucoup temps puisque c’est moi qui ai écrit la musique, les textes, les poèmes déclamés dans le film dont le tournage a été bouclé il y a deux ou trois mois. Place maintenant aux tournées estivales de promotion de mon album et à la préparation d’un autre.

  Entretien réalisé par Saïd Aït Mébarek
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